(Billet 1035) – La France vire à (l’extrême) droite, Alger panique et Rabat observe

(Billet 1035) – La France vire à (l’extrême) droite, Alger panique et Rabat observe

Ce qui se produit aujourd’hui en France intéresse et concerne le Maroc et les Marocains à plus d’un titre. En effet, et outre la forte communauté de Marocains qui vit, étudie ou travaille, en France, ce pays est toujours notre principal partenaire économique et de sa position sur l’intégrité territoriale du Maroc dépendra en grande partie une plus grande reconnaissance de la marocanité du Sahara par la communauté internationale.

Paris et Rabat sortent lentement d’une glaciation de leurs relations, initiée et soigneusement entretenue par les deux pays. La France d’Emmanuel Macron recule sur l’échiquier international et remet en cause, par manque de vision, ses alliances traditionnelles et le Maroc aspire à plus d’autonomie, de respect et revendique un « dégroupage » de ces relations ; il y a eu ensuite les facteurs amplificateurs de la crise, l’affaire Pegasus, les restriction et chantage aux visas, le vote du parlement européen contre Rabat, l’annonce du prisme diplomatique marocain, et puis ce manifeste manque d’envie et de volonté, des deux côtés, d’assainir les relations par une discussion franche.

Et un jour, les choses ont commencé à évoluer dans le bon sens, celui d’une réconciliation... réconciliation car il y a eu fâcherie, et plutôt lourde. Multiplication de visites de ministres français au Maroc (de l’autre côté, seul Nasser Bourita a fait le déplacement), signature d’accords en tous genres, incluant les provinces Sud du royaume, énième annonce de la visite éternellement reportée de M. Macron sur les terres marocaines, activité débordante et optimisme souriant de l’ambassadeur de France au Maroc… Les petites phrases bien calculées alternaient avec les grandes envolées sentimentales, mais tout cela hors du prisme diplomatique marocain, du moins officiellement.

Et ainsi tout allait presque pour le mieux dans le supposé meilleur des mondes, jusqu’à cette élection européenne, la bérézina du parti présidentiel et l’irrésistible montée du Rassemblement national, ex-Front mais toujours aussi xénophobe. Adieu, veau, vache, cochon, couvée… pourrions-nous dire après cette débâcle, et après ce qu’il faut bien appeler une crise institutionnelle dans les faits, même si en droit tout est aligné.

Au Maroc, ce qui nous intéresse est notre question nationale, celle de la reconnaissance de l’intégrité territoriale du Maroc. Demain, en juillet, le RN devrait être, sauf grande surprise, à la tête du gouvernement français. Quelle sera sa position sur cette affaire que les futurs ministres trouveront en chantier avancé ? Rappelons ce que disait Marine Le Pen en 2022, sur sa politique étrangère : « je souhaite entretenir et enrichir les relations avec les trois pays du Maghreb… avec le Maroc, qui nous est cher ». Quelques mots sur la Tunisie et quatre longues minutes sur les relations tumultueuses entre Paris et Alger, sachant que le Front national, ancêtre du RN, a été fondé par Jean-Marie Le Pen sur les ruines de l’Algérie française, avec une nostalgie affichée pour cet ex-département français.

Que fera le RN, s’il est à Matignon, avec l’Algérie ? Il commencera par abroger l’accord de 1968 qui facilite l’immigration algérienne, et créera ce faisant une très sérieuse crise avec Alger, laquelle sera confrontée à une grosse fronde de sa population, dont une partie considérable considère le visa pour la France comme un plan de carrière. Le président Macron, conscient de cela, a hésité à dénoncer l’accord, il a tergiversé, hésité et finalement n’a pas agi.

C’est là que le Maroc devra, lui, réagir et labourer le champ des bonnes relations historiques et même multiséculaires avec Paris. Le Maroc et la France pourront se rapprocher et fonder une nouvelle relation gagnant-gagnant entre leurs économies et leurs sociétés. Mais dans cette perspective, on commence déjà, au Maroc, à évoquer une certaine réticence de voir franchi le pas de la reconnaissance de la marocanité du Sahara par une équipe d’extrême-droite, et même parfois présentée comme raciste. Et c’est une erreur.

Le Maroc ne devrait pas faire la fine bouche en choisissant les camps idéologiques de ses alliés (ce qui serait au demeurant une ingérence dans leurs affaires intérieures) ; nous avons face à nous des Etats constitués et non de simples majorités électorales éphémères, et reconnaître l’intégrité territoriale du Maroc est un acte d’Etat, quel que soit le courant politique dominant. Certes, l’extrémiste Donald Trump a reconnu le Sahara en fin de mandat, qu’il a par la suite achevé dans le chaos, et l’autre et encore plus extrémiste Netanyahou est aussi dans le chaos (et le crime à grande échelle) après avoir reconnu la souveraineté marocaine au Sahara ; et ce qui arriverait en France après une victoire de l’extrême-droite n’est pas notre problème, ce seraient les affaires des Français. Occupons-nous des nôtres.

Si le RN accède au gouvernement et qu’il le dirige, et s’il décide de reconnaître le Sahara occidental pour ce qu’il est, c’est-à-dire marocain, ce sera la France de l’extrême-droite qui l’aura fait. Mais dans la France de l’extrême-droite, il y a « France », et c’est le principal. Et tout le monde y gagnerait : le Maroc reconnu sur ses terres par le pays qui, avec l’Espagne, « a la main » sur cette région du monde, l’Espagne devra avancer vers une reconnaissance plus explicite du Sahara marocain, la France gagnerait l’amitié du Maroc, et les gigantesques marchés et opportunités géostratégiques qui pourraient aller avec, l’Algérie en pleine campagne présidentielle devra consentir à une introspection et ne fera pas l’économie d’une implosion si le texte de 1968 devait être abrogé, et il le sera vraisemblablement en cas de victoire RN le 7 juillet.

Dans l’intervalle, le président Macron, qui n’a ni compris ni pris le sens de l’Histoire, en sort, l’Algérie panique, et le Maroc attend et observe.

Aziz Boucetta

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