
(Billet 1217) – Le discours du roi, avant et après
Ambiance générale. Un puissant vent de mécontentement social monte depuis un an, face à la cherté de la vie, aux chiffres du chômage des jeunes et au laxisme face à la corruption, sous toutes ses formes. Début septembre, le chef du gouvernement accorde un entretien à la télévision publique, contribuant à amplifier le mécontentement. De fait, et après un drame à l’hôpital d’Agadir fin août, les jeunes, appelés GenZ (212) lancent un appel à manifestations contre l’état de la santé, de l’éducation et du chômage. Et c’est dans ce contexte que le traditionnel discours royal au parlement intervient.
Les discours du roi sont toujours très attendus car sa parole est rare, contrairement à sa communication. C’est le style Mohammed VI, parler peu, annoncer ses décisions par communiqués et agir par actes symboliques, allusifs, indicatifs. Le discours d’hier était particulièrement guetté, attendu par tous les Marocains et aussi à l’étranger, pour des raisons évidentes. Au Maroc, comme ailleurs, les GenZ, ces jeunes de la génération de la même lettre, ont exprimé leur colère, leurs attentes déçues, leur désespoir naissant. Ils ont pesté et manifesté, ils ont marché, ils ont scandé leurs slogans, ils se sont organisé sur Discord, communiqué sur Facebook et Tik-Tok, mobilisé leurs aînés X et Y… ils ont même établi un cahier revendicatif en forme de réquisitoire implacable, structuré et argumenté, donc difficilement réfutable, contre le gouvernement en général et contre son chef en particulier. Ils ont franchi le mur du silence et ne semblent pas vouloir reculer…
Puis ils ont décidé une pause des manifestations, les mettant en suspens le temps d’une journée, celle où le roi devait ouvrir en toute solennité le parlement pour sa session d’automne. Réponse du roi sous la forme d’un discours mené au pas de charge, en huit minutes seulement. « إذا ظهرت المعنى فلا فائدة في التطوال », pourrions-nous dire. Mais la réponse était politique, dans le respect de la règle constitutionnelle. Douche froide, déception générale !
Pourquoi ? Qu’attendaient donc les gens ? Ils attendaient que le chef de l’Etat réagisse avec vigueur et mauvaise humeur, qu’il limogeât à tour de bras, qu’il rabrouât publiquement les 600 personnes face à lui, qu’il citât les jeunes et leurs attentes et incitât les moins jeunes à se joindre à eux… Ce n’est pas plus le style du roi qu’une impossibilité constitutionnelle, le pouvoirs royaux étant soigneusement définis.
Ce discours est pourtant un appel à l’action. Dire qu’il faut instaurer une culture du résultat et utiliser le mot « inadmissible » pour dénoncer la gabegie et les atermoiements peut être lu comme un appel aux populations à exiger leurs droits, protester contre l’incurie et la négligence, et aussi un rappel à l’ordre de tous ceux dans la fonction ou les responsabilités publiques qui, béats, alignent des chiffres pas tout à fait fiables et égrènent des résultats souvent très discutables au regard de la réalité.
Rappeler l’importance de prendre en considération les zones montagneuses, les espaces littoraux et la partie rurale du pays est un prolongement de la dénonciation du Maroc à deux vitesses, faite par le roi le 29 juillet dernier. Il est vrai qu’avec ce gouvernement et cette classe politique, rappeler deux ou même trois fois plutôt qu’une s’avère plus que nécessaire. En effet, le roi avait demandé à deux reprises au gouvernement d’établir des politiques publiques pour les MRE, mais rien n’est sorti du gouvernement, jusqu’à aujourd’hui… le roi a tout fait à son niveau pour réformer la Moudawana, mais toujours rien au niveau parlementaire…
En fait, le problème se situe dans la configuration même de la Chambre des représentants (la Chambre des conseillers ne peut censurer un gouvernement, et elle n’a même pas vraiment actualisé son règlement intérieur…). La majorité est trop large, trop confortable, trop facile et, par conséquent, trop arrogante à l’égard d’à peu près tout le monde, peuple compris ! Mais, pour autant, ce vendredi dans l’hémicycle, l’ambiance était à la contrition, élus parlementaires et ministres se sentant – à juste titre – responsables de la situation sociale du pays. Et surtout le RNI, parti majoritaire, dominant et très maladroitement dominateur ; il n’est pas anodin que le parti qui a le premier jugé nécessaire de dégainer un communiqué d’auto-félicitation à la suite du discours soit… le RNI, suivi le lendemain par le PAM, et bien entendu l’Istiqlal. La politique old school, dépassée, du communiqué satisfait des discours royaux, dont on n'applique pas vraiment les dispositions.
Il ne fallait donc pas attendre que le roi prenne des dispositions contre le parlement ou le gouvernement car, en toute simplicité, il ne dispose pas du pouvoir de le faire, sauf à dissoudre le parlement. Mais la situation du pays nécessite-t-elle vraiment de créer une crise politique majeure, en plus de la crise sociale ? et le calendrier international du Maroc (Conseil de sécurité, CAN,…) le permet-il vraiment ?
Non, et la solution du problème appartient à ceux qui l’ont créée, en l’occurrence la classe politique. L’opposition est inaudible car elle est divisée et ses effectifs sont ridiculement bas, et la majorité, elle, se planque, attendant que l’orage passe. Mais, ce faisant, elle condamne déjà les élections de 2026 à un échec retentissant sur le plan de la participation car, franchement, pourquoi aller voter si c’est pour reproduire des organes comme ceux d’aujourd’hui, où les responsables qui ne font pas ce qu’ils doivent se jettent dans les abris à la première tornade ? Et ce ne sont pas seulement les Z qui se retiendront de voter, mais leurs aînés aussi. Comment réaliser les ambitions de grandeur du Maroc et des Marocains avec une classe politique si petite ?!
Ceux qui veulent une intervention du roi sont aussi ceux qui réclament des institutions qui fonctionnent et un système démocratique qui convainc. Or, le paradoxe ou la contradiction, c’est qu’un système démocratique, ce sont précisément des institutions ; si nous n’apprenons pas à faire confiance à nos institutions et à les sanctionner le cas échéant, il ne faut en toute simplicité pas réclamer une pratique démocratique, si c’est pour toujours en revenir au roi et s’en remettre à lui.
Cela étant, les choses ne devraient pas en rester là… le roi est l’arbitre auquel tout le monde se remet en cas de blocage. Or, les deux parties à arbitrer sont les GenZ et leurs revendications, dont le départ du gouvernement et la reddition des comptes de ceux qui le doivent, d’une part et, d’autre part, le gouvernement et sa majorité. Les premiers ne vont pas rester sur leur déception et ont d’ores et déjà annoncé la poursuite de leur mouvement, et les seconds ne doivent pas se croire tirés d’affaire. Un arbitrage, à la façon royale, du style Mohammed VI, pourrait intervenir tôt ou tard, mais personne ne sait quelle forme il prendra, directe ou indirecte.
Dans l’intervalle, les GenZ auront réussi à se faire entendre et même à s’imposer et à montrer que face au pouvoir, il peut exister un contre-pouvoir.
Aziz Boucetta
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