(Billet 1208) – La société a percé le plafond de verre… la politique, pas encore

(Billet 1208) – La société a percé le plafond de verre… la politique, pas encore

Il arrive que dans la vie des nations, certaines périodes soient plus importantes que d’autres… que certaines échéances soient plus marquantes que leurs précédentes. Et il en va ainsi aujourd’hui, dans le Maroc de cette année 2026 que tout le monde attend, car elle sera une année électorale et que la majorité et le gouvernement qui en seront issus conduiront le Maroc vers le cap 2030 ; et ce cap, ce n’est pas seulement la co-organisation du Mondial de foot, mais bien plus…

A l’inverse de l’actuelle mandature, qui est et aura été celle de la gestion de l’après-Covid et de la mise en place de nombre de réformes sociétales et socio-économiques, celle qui se profile à l’horizon sera celle de la direction que devra prendre le royaume pour les 10 à 20 prochaines années. Ce mandat sera celui de la conception d’un Maroc nouveau, lequel sera le résultat et le produit de l’immense chantier à ciel ouvert qu’est le royaume aujourd’hui. Or on sait qu’un chantier nécessite des chefs de chantier, c’est-à-dire des technocrates ; à l’expiration de leur mandat, ces derniers auront globalement accompli leur tâche, mais ils auront également laissé des millions de personnes en marge de la marche du pays, à l’écart du développement, les oubliés, les délaissés… et il y en a tant !

Que l’on en juge : 4,3 millions de NEETs de 15 à 34 ans selon le CESE, un chômage qui gravite autour de 13% (le gouvernement objectera que le taux est de 12,8%, et on dire Ok pour lui faire plaisir), la production céréalière est désormais et structurellement déficitaire, un nombre croissant de Marocains aspirent à partir s’établir à l’étranger, les faillites d’entreprises se multiplient, Bank al-Maghrib qui s’alarme des chiffres de la création d’emplois…

Or, un technocrate, quels que soient les résultats de sa politique, vous dira et soutiendra toujours que les choses vont bien. Ce n’est pas le cas, les chiffres cognent et le Maroc grogne. Le pays a besoin désormais d’une classe politique qui réfléchit, qui se projette, qui pense et conçoit le Maroc de demain, qui ajuste au besoin et redresse si nécessaire. Une classe politique qui redonne ses lettres de créance à la politique, qui restaure la confiance auprès de la population, un casting politique nouveau dont nous avons cruellement besoin pour négocier ce tournant ô combien important pas seulement pour le Maroc mais aussi dans le monde.

Dans ce pays, nous avons depuis des décennies eu deux types de classe politique. Celle issue du mouvement national (qui s’est regroupée ensuite, par deux fois, en « koutla) » et celle qui s’est mise en mouvement sur commande, sur intérêt. Le problème est qu’avec le temps, les choses se sont lissées, ceux du mouvement national rejoignant peu ou prou (plus prou que peu d’ailleurs) les autres. Mais, comme disent nos amis français, « entre deux maux, il faut choisir le moindre ». Aussi, entre les partis répondant aux besoins d’une frange de la population et ceux remplissant les critères de l’administration, le choix est simple.

Mais, question : la génération actuelle est-elle similaire aux précédentes, post-indépendnace ? Et les dirigeants des partis anciennement koutla sont-ils de la même trempe que leurs illustres aînés ? Assurément non, mais il faut faire avec ce que l’on a. Nizar Baraka est un homme de vertu et de compétences, mais il serait inspiré de gagner en pugnacité sur la scène politique ; Nabil Benabdallah, lui, est efficace, pugnace et pétri d’audace, mais son parti devrait sortir de sa malédiction de Lilliput ; l’USFP devrait trouver un autre élan, un autre discours et un autre secrétaire général. Le MP n’appartient pas vraiment au mouvement national, mais il demeure un très intéressant parti de la ruralité. Quant au PJD, il n’est pour ainsi dire nulle part, mais son arrimage à une majorité Koutla serait utile pour le pays.

Que ceux qui votent et que ceux qui décident entament une réflexion sur ce qu’il convient au Maroc en cette période charnière qui, outre les défis connus, conduira la pays vers le début d’un tassement de la croissance démographique, lequel aboutira au pic du même nom à la fin de la décennie prochaine, avec tout ce que cela signifie en termes de croissance et de viabilité des régimes de retraite.

Pourquoi parler autant de politique et revenir à ce sujet aussi récurremment ? Parce que le Maroc est une démocratie, que c’est le politique qui imprime la marche à suivre et indique la direction à emprunter et… qu’il se passe des choses curieuses dans ce pays. Les services et autres piliers de l’Etat sont virulemment et lourdement attaqués, des groupes numériques étranges et mystérieux apparaissent ici et là, l’ambiance est morose, l’humeur délétère, et les personnels politiques dépassés.

Le Maroc a atteint un cap. Ce cap est social et sociétal, économique et entrepreneurial, démographique et numérique et de ce fait, la société cherche mieux et exige plus. En face, une classe politique qui n’a pas compris les choses, ou plutôt qui les a comprises sans pouvoir les mettre en pratique, pour une raison ou pour une autre. Le royaume a connu d’autres situations similaires, en 1995 ou au tournant du siècle, ou encore en 2011, et des avancées sérieuses et significatives ont été enregistrées ces années-là ; pas du fait de partis revendicatifs mais d’une société, d’une génération de jeunes plus active et plus audacieuse que la précédente. Le Maroc a ainsi avancé par paliers, crevant les plafonds de verre les uns à la suite des autres, quand la population devient demandeuse d’une plus grande marge d’action sociale, économique, politique…

Aujourd’hui, il semblerait que nous y soyons… les différents éléments et indicateurs d’une demande de changement sont réunis ; une économie poussive, malgré les chiffres annoncés et les performances claironnées, une société en souffrance et une jeunesse qui piaffe d’impatience, des mutations sociétales réelles mais rejetées par une frange (conservatrice) de la population… bref, il règne au Maroc le sentiment général que le pays avance vite mais mal, que certains en reçoivent les dividendes et que les autres, plus nombreux, y restent à la marge. On en parle peu ou pas, mais six millions de Marocains ayant choisi de vivre à l’étranger (selon le HCP, près de 78% des Marocains installés actuellement à l’étranger ont quitté le Maroc durant la période 2000-2018 et 24% d’entre deux depuis l’année 2015), cela devrait interpeller nos dirigeants.

Des élections se profilent à l’horizon. Le pays se trouve face à une alternative : où on crée du neuf, on innove avec des idées, on promeut de nouveaux profils et on offre au pays une politique inédite, audacieuse, compétente et intègre… ou, à l’inverse, on reproduit les mêmes schémas pour une configuration différente et alors, on ira vers l’inconnu. La balle est dans le camp des décideurs politiques, de quelque niveau qu’ils soient.

Aziz Boucetta

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