(Billet 1071)– 7 octobre, un an après… A ‘’vaincre’’ sans péril, on ‘’triomphe’’ sans gloire
La politique internationale nous apprend dans quel monde nous vivons et avec quelles gens nous y coexistons. Mais cette dernière année nous aura enseigné beaucoup de choses sur beaucoup d’idées reçues, et les premières d’entre elles qui volent en éclat sont l’égalité entre les hommes, les valeurs universelles, la justice, et même la compassion et l’empathie humaines. La guerre en Ukraine est seulement un aperçu de quoi la nature des hommes, de certains d’entre eux du moins, est capable ; le carnage de Gaza en donne une juste mesure.
D’abord, il faut cesser de parler de guerre. Il s’agit d’un énième montage sémantique pour diluer et dissimuler la véritable forfaiture en train de se produire sous nos yeux ; un génocide doublé d’une volonté de reconfiguration politique de toute une région du monde. Il ne s’agit pas de guerre, mais d’un massacre sans nom, d’un épouvantable carnage. Les Israéliens « tondent le gazon », pour reprendre cette atroce expression qui leur est chère et qui signifie tout écraser, tout raser. A force de bombardements (délicatement désignées par « frappes »), de destructions (forcément chirurgicales), de très discutables et tardifs « ordres d’évacuation », de cartons pleins avec les missiles, drones, obus et autres projectiles, on se demande s’il arrive au soldat israélien de tirer de temps en temps avec son fusil…
Ce n’est pas une guerre, c’est un carnage, un massacre, une large et effrayante tuerie. Ce n’est pas une guerre, car une guerre, c’est armée contre armée, comme en Ukraine par exemple… non, ce sont des bombardements à n’en plus finir, avec des bombes dépassant souvent la tonne, des bombes au phosphore, qui écrasent tout, surtout les civils. Hier à Gaza, aujourd’hui, le Liban y goûte.
Qui sera le prochain ? Dans l’esprit malade de Netanyahou, tout est possible, dans les esprits brumeux de ses alliés, tout est permis.
Israël tue, bombarde, détruit, incendie, vitrifie, expérimente des armes (pour les amis yankees) ; il extermine quelques 45.000 personnes, bien plus avec près de 200.000 décès directs et indirects, selon la revue Lancet. Puis, grisé par ses succès obtenus sans peine face à des populations désarmées et désemparées, l’Etat hébreu s’en prend aujourd’hui au Liban, et décapite le Hezbollah. Voici quatre siècles Corneille disait qu’ « à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire ». Ça tombe bien, les Israéliens ne veulent ni péril, ni triomphe ni gloire, ils veulent simplement vaincre. Ont-ils vaincu ? Incontestablement oui, si l’on s’inscrit dans une histoire à court terme, dans la logique du langage des morts et des destructions ; oui, ils ont vaincu, « tondu » Gaza, massacré près de 10% de sa population, jeté l’effroi dans les chaumières et stupéfait, horrifié le monde. C’est une victoire certes, mais une victoire qui rappelle celle d’Attila… l’homme après le passage duquel l’herbe, ou le « gazon », ne repousse plus !
Alors, Israël et son chef Netanyahou déclarent que la guerre est gagnée, que le Hamas est détruit et bientôt pareil pour le Hezbollah. Ils sont aidés en cela par la meute de journalistes, d’analystes, de lobbyistes et de sionistes en Occident. En face, l’un des rares chefs survivants du Hamas, Khaled Mechaal, affirme aussi que son groupe a gagné. Qui a raison, qui a tort ? Tout est une question de niveau de réflexion. Le Hamas a-t-il gagné ? Ce n’est peut-être pas sûr, même si sa mesure de victoire répond à d’autres critères que ceux convenus. Il a certes perdu une dizaine de milliers de combattants et quelques dizaines de kilomètres de tunnels, mais il conserve d’autres dizaines de milliers de miliciens et encore des dizaines de tunnels. Il a néanmoins gagné la guerre de l’image et ceux qu’il est supposé défendre et protéger, les Palestiniens, ont eux gagné toutes les batailles et la guerre des cœurs, de l’image et même du droit.
Ainsi, et en dépit du retard de la CPI, des mandats d’arrêt vont être lancés contre les principaux dignitaires israéliens, et la CIJ s’est prononcée sur les droits des Palestiniens ; l’AG de l’ONU leur a conféré un siège d’Etat observateur non membre et les Palestiniens ont gagné l’empathie, puis la sympathie des peuples du monde, occidentaux compris. Malgré les inconditionnels d’Israël qui persistent et signent à défendre l’indéfendable, à excuser l’inexcusable. Le monde se retourne contre Israël et se détourne de ce qui aurait pu être sa juste défense. S’ils avaient conscience de ce qu’ils font, les Israéliens cesseraient leurs atrocités et leur boucherie et feraient amende honorable ; ils comprendront enfin le sens profond de cette phrase à la paternité multiple tant elle est vraie : « On peut tout faire avec une baïonnette sauf s’asseoir dessus ».
Il reste les Biden, Macron, Starmer, Trudeau, Scholz et les autres, mais eux, malgré leur pouvoir de nuisance actuel, ils ne pèsent pas grand-chose et ils paieront dans l’Histoire le juste prix de leur inaction complice d’aujourd’hui contre le massacre, et leur action résolue à procurer des armes puis protéger les tueurs. Ce ne sont que de simples et très moyens politiciens, qui, comme le disait James Freeman Clarke, n’ont d’yeux que pour leur prochaine élection…
En termes d’objectifs de guerre, Israël a perdu car il n’a pas réalisé les siens (détruire le Hamas et récupérer les otages) et il a encore plus perdu car il n’a aucune solution de sortie de crise. Les Israéliens comprendront cela quand Netanyahou sera parti – car Dieu merci les hommes sont mortels – et qu’ils réaliseront dans quel cloaque moral il les a jetés. Le Hamas et le Hezbollah ont aussi perdu car jamais les Palestiniens et les Libanais ne leur pardonneront la perte de leurs enfants, parents et autres êtres chers.
Sur le moyen terme, les Palestiniens auront très certainement leur Etat. Quand le monde aura achevé sa reconfiguration aujourd’hui en marche, les Israéliens comprendront qu’ils forment désormais un lourd fardeau pour leurs protecteurs, lesquels les conduiront tôt ou tard à résipiscence. Les Palestiniens ont payé le prix du sang et l’étendue du carnage leur fera gagner du temps, aussi cynique que cela puisse paraître.
Il y a un temps pour tout, et celui de la guerre (même en cas de déclenchement d’hostilités contre l’Iran), arrive à son terme, pour ouvrir sur le temps de la paix et du dialogue. Ce n’est pas de l’optimisme inconsidéré ou béat, mais du simple réalisme.
Aziz Boucetta
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