(Billet 1107)– Le Pen présidente du groupe d’amitié Maroc France, une bonne chose pour Rabat
En France, à l’Assemblée nationale, le Rassemblement national a remporté la présidence du Groupe d’amitié France-Maroc. Groupe convoité, fonction prisée, prestige garanti, et pour cela les désaccords ont surgi dès l’ouverture des candidatures. Après moult péripéties procédurales et procédurières, c’est finalement le RN qui l’emporta et c’est certainement Marine Le Pen qui deviendra la présidente de ce groupe. Tollé en France, c’est leur affaire, mais pourquoi tollé au Maroc ?
Le RN, s’il devait être un problème, serait un problème français, pas le nôtre. Nous, nos intérêts, c’est d’être bien avec tout le monde (avoir des préférences peut-être mais être bien avec tout le monde). Si les Français ont finalement compris que le Sahara est marocain et qu’il doit le rester (et il le restera), c’est parce que leurs intérêts le leur commandaient ; et il en va de même pour nous, maintenant, pour le RN.
Le Maroc doit en effet pouvoir et savoir travailler avec ceux qui le soutiennent, ceux qui entrent dans le désormais fameux prisme défini par le roi Mohammed VI en 2022, ceux qui ont toujours été de son côté. Or, que disent aujourd’hui et qu’ont dit par le passé Marine le Pen, Thierry Mariani, Jordan Bardella et leurs amis sur le Maroc et son Sahara ? Globalement, que le Maroc est un pays d’avenir, un pays aussi stable que fiable, avec son Sahara, avec lequel ils entendent construire des relations durables, imprégnées de respect mutuel et fondées sur des intérêts communs et équitables. Idem, avec plus de mesure, pour la droite, dite républicaine. La gauche, l’extrême gauche et le centre vaguement macronien restent opaques, disant tantôt une chose tantôt son contraire, tentant de ménager le chou et la chèvre, de contenter le Maroc sans irriter l’Algérie, et inversement.
Aujourd’hui, le RN présidera le Groupe d’amitié, et il faudra au Maroc travailler avec lui. Les adversaires de ce parti en France, et nombre de Marocains, crient au scandale et mettent en garde. Mais quel scandale et contre quoi être mis en garde ? Quel est le problème ? Le RN embête nos ressortissants en France. Tous ? Non, seulement ceux qui ne font pas leurs les valeurs et les lois de la république. Les autres sont chez eux. Quant aux racistes rencontrés dans les rues, il y en a partout, des crétins, et on s’y fait.
Un autre problème ? Les RNistes (avec le « i » en minuscule…) sont xénophobes, autoritaires, dissimulateurs… Tout cela ne nous concerne pas, nous autres Marocains, car il s’agit d’affaires franco-françaises.
Le RN est appelé à gouverner la France, c’est aussi inéluctable qu’imminent, sauf manœuvre imprudente et dangereuse de ses adversaires, comme une condamnation judiciaire, et encore une fois, il s’agirait d’une affaire intérieure française. Nous, gageons sur la vigueur de la démocratie en France et prévoyons en conséquence, car tout le laisse penser, en une arrivée prochaine du RN aux centres de pouvoir à Paris.
Si nous entretenons de bonnes relations avec lui maintenant, nous pourrons peut-être à l’avenir contribuer à infléchir la politique RN à l’égard de nos ressortissants. A ce propos, TelQuel a publié cette semaine un article dans lequel il raconte l’entrevue accordée par feu Hassan II à Jean-Marie le Pen, récemment décédé. Deux hommes férus d’histoire, souverainistes, impériaux, et au fait des faits et effets des relations internationales. Le courant était passé entre le roi et l’ancien militaire, et rien ne dit que ce courant n’ait pas été transmis par le père à sa fille. Dans la déclaration de politique étrangère de cette dernière en avril 2022, lors de la campagne présidentielle, elle avait dit que « le Maroc est un grand pays avec lequel nous voulons entretenir de bonnes relations », et c’est ce qu’elle a redit en substance quand le RN s’est vu confier la présidence du Groupe d’amitié France-Maroc. et quand Emmanuel Macron avait reconnu en juillet dernier la souveraineté du Maroc sur son Sahara, Marine Le Pen avait déclaré que « le gouvernement français n’a que trop tardé pour reconnaître l’engagement constant du Maroc depuis des décennies dans la stabilisation et la sécurisation du Sahara occidental, partie intégrante du royaume chérifien ».
Et, enfin, l’heure est aujourd’hui dans le monde aux extrêmes droites, ou aux droites extrêmes, avec lesquelles nous entretenons déjà, ou entretiendrons, ou devrons entretenir, de bonnes relations. Donald Trump aux USA, Georgia Meloni en Italie, Victor Orban en Hongrie, et donc, pourquoi pas, Marine Le Pen en France. Au moins, eux, nous les connaissons bien… Quant à la gauche, où qu’elle soit, le Maroc n’a eu que des problèmes avec elle, aux Etats-Unis (Carter, Obama, Clinton…), en France (Mitterrand, Jospin, Hollande…), en Espagne, en Italie et ailleurs.
Pour revenir à la France, Rabat entretient et aménage ses relations avec la gauche, malgré ses positions indéfinies et dogmatiques, souvent faussement démocratiques mais démocratiquement fausses, et condescendantes. Jean-Luc Mélenchon est venu au Maroc en octobre 2023, et il a été suivi par Mathilde Panot durant l’été 2024, puis Rima Hassan était aussi sur nos terres cette semaine. Ils montrent généralement patte blanche concernant le Sahara, mais peut-on réellement les croire ? Peut-être, mais avec modération et retenue.
De quel droit et au nom de quelle neutralité ou respect des souverainetés les Marocains s’impliquent-ils dans la politique intérieure française ? Pourquoi certains répètent-ils les arguments de la classe politique en France ? En quoi devons-nous prendre une position concernant Mme Le Pen ? Son anti-islamisme dérange ? Elle n’est pas la seule, et nombre de nos amis hexagonaux pensent comme elle ; son soutien (apparemment) inconditionnel à l’Israël d’aujourd’hui et de Netanyahou ? Elle n’est là encore une fois pas la seule.
Les Marocains ont alors, concernant la classe politique française, le choix entre deux camps : ceux qui, à gauche, défendent la Palestine mais soutiennent le Polisario, et ceux qui reconnaissent notre souveraineté sur le Sahara marocain, mais supportent Netanyahou. Choisissons ceux qui défendent le Maroc et son Sahara et laissons le reste aux relations internationales.
La France change et sa politique évolue, le Maroc mute et sa pratique diplomatique change de forme et performe. Travaillons avec le RN, ménageons les refuzniks des Insoumis, pour mieux les travailler, sollicitons d’autres indécis pour les convaincre, soignons nos amis et ceux qui peuvent le devenir.
Mais, en aucun cas, jamais, il ne faut entrer dans le jeu politicien intérieur français. Il faut juste le comprendre, accompagner ses évolutions, taire nos affinités et garder une égale et juste distance entre les deux camps. Nous y gagnerons, toujours.
Aziz Boucetta
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