(Billet 1246) – Conseil national de la Presse : le gouvernement presse le pas

(Billet 1246) – Conseil national de la Presse : le gouvernement presse le pas

Le dernier écueil sérieux est franchi, et la loi 26-25 sur la réorganisation du Conseil national de la presse est passée en commission de la Chambre des conseillers, lui ouvrant la voie vers son adoption législative définitive en plénière, puis la publication au Bulletin Officiel. Pour application. Ce texte aura fait couler beaucoup d’encre et de salive, mais si le parcours institutionnel est fini, le plus dur reste néanmoins à faire…

Pour reprendre le propos du ministre de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication Mehdi Bensaïd, 98% du projet sont acceptés par les parties, et seuls les 2% restants posent problème, en l’occurrence le déséquilibre entre le collège des éditeurs, 9 membres, et celui des journalistes, 7 membres, et aussi le mode de désignation des premiers, qui passe par… la désignation et non le vote, comme c’est le cas pour les journalistes. 2% vous manquent et tout devient problématique…

Et maintenant ?

Et bien maintenant, la polémique risque de se poursuivre, et même si ce n’est pas le cas, le problème persistera, lourdement. Car, en effet, les choses paraissent déséquilibrées, en faveur d’une association au détriment de l’autre. Aux termes du nouveau texte, l’Association nationale des médias et de l’édition (ANME) sera désignée comme étant la plus représentative, face à la Fédération marocaine des éditeurs de journaux (FMEJ), l’entité historique des éditeurs.

Globalement, la logique gouvernementale est de privilégier les grands groupes de presse, ce qui fait sens, et fait aussi l’affaire de l’ANME. En face, la FMEJ appelle à des élections pour respecter la logique démocratique, ce qui est défendable aussi. En somme, la solidité entrepreneuriale vs l’onction démocratique ; la FMEJ a fait l’Histoire, mais y est restée, et l’ANME n’a pas encore pu s’inscrire dans l’avenir. Et entre l’histoire et l’avenir, le présent cacophonique, chaotique, conflictuel. Il fallait trancher, et durant ces derniers mois, le ministre Bensaïd a expliqué, plaidé, débattu, combattu, puis a tranché. L’histoire jugera et le public appréciera, mais aujourd’hui, la loi va s’imposer. Elle est passée en force, malgré un faible effectif de votants (6 contre 5, sur 20 membres de la commission concernée à la Chambre des conseillers).

Et donc ? De deux choses l’une… ou les membres de l’ANME ont le triomphe modeste et composent avec leurs confrères de la FMEJ, ou alors de sombres jours attendent la profession, qui sera divisée. Et comme nous parlons de journalistes, donc de leaders d’opinion (intellectuels et/ou influenceurs), nous risquerons d’avoir une corporation bancale où les vainqueurs auraient vaincu sans avoir convaincu et où les perdants ne se résoudront pas à leur défaite. Au lieu d’informer, la profession sera déformée, et la société livrée aux hurleurs et autres influenceurs lugubres.

Or, dans quelques mois, des élections seront tenues et une nouvelle majorité se dégagera. Et la lutte reprendra, portée par ceux qui, aujourd’hui, ont perdu la bataille ; et un nouveau round reprendra, fatalement, inévitablement, nécessairement. Le gouvernement actuel refilera à son successeur la patate chaude, qui deviendra brûlante, d’un secteur média en charpie. En effet, la presse est un secteur où la majorité numérique ne saurait suffire, et encore moins convaincre des gens convaincus par la justesse de leur cause, même si la méthode employée par ces derniers est discutable, car elle est également d’essence numérique !  Les deux protagonistes de cette affaire sont porteurs de projets qu’ils défendent bec et ongles : pour les uns, l’ajustage comptable, pour les autres, le parachutage numérique.

Les choses seront donc difficiles, et le ministre Bensaïd, malgré tous ses louables efforts pour expliquer et mobiliser, ne pourra pas inscrire ce texte à son actif politique. Au contraire, il existe de fortes probabilités qu’il soit tenu pour responsable de l’émiettement du secteur. Sauf si…

Sauf si la sagesse prévaut ! Et la sagesse consiste à renoncer au « vae victis » pour lui privilégier le moins connu, le moins utilisé et le ô combien plus noble « gloria victis ». Il est très important que des actions de rapprochement soient entamées et initiées entre les deux associations et il est fondamental que le prochain Conseil national de la presse, né bancal, redevienne droit. Si la volonté de le voir naître, de le faire vivre et de l’aider à réussir est là, les structures du CNP à venir devront être consensuelles ; la hache de guerre doit impérativement être enterrée, et cela ne saurait passer que par la restauration de la confiance entre les uns et les autres, entre les journalistes et les éditeurs et entre les éditeurs. Le prochain CNP devra, pour exister et durer, ratisser large et s'ouvrir sur toutes les tendances. Toutes.

L’heure des écrits rageurs et des podcasts vengeurs doit aujourd’hui être révolue ; l’ère des dénonciations, des incriminations et des accusations doit également s’estomper au profit d’une autre, plus confraternelle, plus empathique.

Mais si on persiste, de part et d’autre, dans cette attitude de conflit et de méfiance généralisée et radicalisée, il faut savoir alors que c’est le 4ème pouvoir qu’on ébranle. Et il n’est pas fortuit de penser qu’en cette période qui démarre, le Maroc a besoin d’une presse et de médias offensifs mais pas entre eux, percutants mais à l’extérieur, informatifs en interne et non vindicatifs.

La loi est donc (presque) passée, elle sera adoptée. Le temps du combat est aussi passé, place désormais au rapprochement, à la conciliation, voire la réconciliation. A la sagesse…

Aziz Boucetta

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