(Billet 1110) – Face à un Occident aux abois, il est temps de relire le discours de Riyad

(Billet 1110) – Face à un Occident aux abois, il est temps de relire le discours de Riyad

Les Lumières se sont allumées voici trois siècles en Europe, et aujourd’hui leurs lueurs pâlissent, vacillent, baissent. En Amérique, à la fin du 18ème siècle, les Pères fondateurs avaient repris ces belles idées, mais leur étoile se ternit de plus en plus et leurs principes s’évaporent avec les années qui passent et les références qui s’envolent. Israël est passé par là, Netanyahou a commis son fait et surtout ses méfaits, avec la complicité malsaine de cet Occident qui continue pourtant, toute honte bue, toute conscience disparue, à dispenser ses bonnes et ses mauvaises notes. Il est aujourd’hui temps pour le Nouveau Sud de se mettre en question, puis en ordre.

S’il y a une chose positive chez Donald Trump, dans sa manière de diriger son pays et dans sa volonté de conduire le monde, c’est qu’il ne cache absolument pas ce qu’en Occident, on a pris coutume d’appeler « illibéralisme ». Sans avoir lu la fable du loup et de l’agneau et sans même jamais avoir entendu parler de La Fontaine, le nouveau président américain sait que c’est la loi du plus fort qui est toujours la meilleure. Avec lui, Donald Trump, les loups se mangent dorénavant entre eux ; le mâle dominant américain dévorerait, dévorera non sans plaisir les subordonnés que sont les Français, les Allemands, les Anglais et d’autres encore, moins importants. Trump l’a dit, et on sait qu’il fait ce qu’il dit. Il n’y a qu’à voir l’état de panique en Europe pour comprendre la portée de ce retour de Trump.

A Washington, les oligarques américains ont pris le pouvoir, en n’essayant même pas de s’en dissimuler. Quand on voit sur une même image, rangés sur la même ligne, les patrons de X, Tesla et SpaceX, d’Amazon, de Google, de Facebook et d‘autres, on peut être certain de leur soudain intérêt pour la politique et on peut aussi douter de leurs bonnes intentions. Quand le pouvoir financier se mêle de politique, la démocratie est en danger, on le sait, et quand s’y ajoute la big tech, alors on peut valablement soutenir l’idée que la démocratie est morte et enterrée. Les oligarques américains sont encore et bien plus dangereux que leurs homologues russes ou chinois.

On a coutume de dire du président américain qu’il est le chef du monde libre. Le redevenu président Trump s’est, lui, libéré des contraintes de ce monde libre. « Liberté », « libertés », « droits civiques », « démocratie », « droit international », voici des concepts qu’il faudrait désormais ranger dans un musée aux Etats-Unis. On y verrait des gens comme Lincoln ou Roosevelt, peut-être même Kennedy, des hommes droits ou de droit comme Badinter ou Aldo Moro, des dirigeants visionnaires comme Adenauer ou Schuman…

Aujourd’hui, tout cela est fini, et la récréation aussi ! L’Occident, comme l’avait voici quelques années reconnu le président Macron dans un (très) rare accès de sincérité, a dominé le monde depuis ces trois derniers siècles et aujourd’hui, la donne a changé, de nouvelles puissances longtemps déconsidérées émergent et entrent en compétition avec cet Occident naguère normatif et puissant. L’ordre international incarné par le monde occidental a été construit au lendemain de la 2ème Guerre mondiale sur un corpus juridique créé sur mesure par les vainqueurs de la guerre (plus la France), qui ne le respectent que quand cela sert leurs intérêts mais qui l’imposent aux autres pour mieux les dominer. Et c’est effectivement fini… comme en foot il n’y a plus de grandes ou de petites équipes, mais seulement des gens qui jouent au foot, en politique internationale il n’y a plus de grands ou de petits, mais tellement de grands et de moins grands que les petits et les tout petits ont désormais le choix qui leur était refusé et disposent de la protection qui leur était interdite ou conditionnée.

En ce début du second quart du 21ème siècle, dans cet Occident pétri de « valeurs universelles », on parle désormais et ouvertement de déportations (les migrants clandestins en Amérique), de centres de rétention où les détenus (parce que ce sont des détenus) y entrent et y demeurent sur décision administrative, de détention administrative en Israël, aggravée de tortures systématiques, de poursuites judiciaires contre des journalistes (France, Etats-Unis, Israël…). L’Europe et les Etats-Unis s’accommodent et soutiennent le génocide en cours à Gaza, territoire étroit qui reçoit toutes sortes de bombes généralement interdites et produites en Europe ou aux Etats-Unis ; les traitements inhumains ou dégradants sont tellement en vogue en Israël qu’on confondrait aisément un centre de détention en Israël avec ce qui a été découvert en Syrie… Les droits de l’Homme, « trouvaille occidentale », doivent être appliqués dans le monde, sauf en Occident et en Israël !

En un mot comme en cent, l’Occident qui a tant dominé, exploité, commandé, dirigé, sanctionné… est aujourd’hui complétement démonétisé. Donald Trump n’est plus un simple « game changer », mais un véritable « world changer ». En affaiblissant l’Europe, en la détruisant presque, il affaiblit son propre pays ; en lorgnant sur le Groenland et même le Canada, il légitime a posteriori l’annexion de la Crimée et du Donbass et autorise anticipativement celle de Taiwan. En se lançant dans son entreprise d’expulsion de millions de migrants, il affaiblira les Etats du Sud, qui vivent de cette main-d’œuvre illégale et bon marché, et il prend le risque d’une recrudescence de la violence dans son Sud, du fait de migrants qui refuseront de se laisser « déporter ».

Les médias occidentaux agissant en meute enragée et non vaccinée… les ONG autoproclamées de défense et de veille des droits de l’Homme pourront continuer à recenser les failles et défaillances en droits humains mais seraient plus avisées de scruter ce qui se produit sous leurs yeux, dans leurs environnements euro-américains... les chancelleries occidentales ont perdu toute crédibilité en à peu près tout. Il appartient maintenant au Nouveau Sud de prendre conscience de cela, de se mobiliser, de s’unir, de se dresser. La garde haute et l’esprit en éveil.

Il est temps de relire le discours de Mohammed VI prononcé à Riyad en avril 2016 ; le roi du Maroc y expliquait les raisons et conséquences des printemps arabes et ce discours était prémonitoire de ce qui se passe aujourd’hui et ce qui adviendra, aujourd’hui qu’un Trump nouveau est au pouvoir, bien plus dangereux que les néoconservateurs du temps de Bush Jr. La carte du monde arabe est remodelée, et de vastes programmes attendent cette région, si ses dirigeants ne se mobilisent pas.

Les grandes manœuvres ont d’ores et déjà commencé dans cette région du monde, péninsule arabe et moitié nord de l’Afrique, par des rapprochements nouveaux, des ambitions géostratégiques long-termistes, de nouvelles alliances et des injections massives de capitaux arabes, en Afrique mais aussi en Occident. Loin du monde arabe en décomposition et plongé dans le doute, l’heure est aujourd’hui à une union plus restreinte des monarchies arabes, plus solides, plus riches, plus ambitieuses, plus déterminées, face à un Occident aux abois et à une Amérique aboyeuse qui ne comprend que le langage de la force, militaire, géopolitique ou financière.

Aziz Boucetta

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