(Billet 1123) – La diplomatie, c’est pas le foot…

(Billet 1123) – La diplomatie, c’est pas le foot…

« La victoire a cent pères, mais la défaite est orpheline »… on connaît la phrase de Kennedy, qui se vérifie depuis la nuit des temps, partout. Aujourd’hui, c’est la diplomatie marocaine, et son chef Nasser Bourita, qui illustrent cette pensée. La défaite, c’est l’échec du Maroc à se faire élire à la vice-présidence de l’UA, et Nasser Bourita, laissé seul face à notre amertume, en fait les frais ou, selon plusieurs commentateurs et analystes, devrait en payer le prix. Mais ses victoires, nous sommes cent, mille, un million, dix à nous en attribuer un peu le mérite !

Que s’est-il passé à Addis-Abeba la semaine dernière ? La fameuse et sempiternelle guéguerre entre Algérie et Maroc. L’Algérie n’a pas accédé au Conseil Paix et Sécurité (CPS), Alger n’en parle pas et les Marocains exultent ; puis l’Algérie a battu le Maroc dans la course à la vice-présidence de l’Union africaine, Alger triomphe bruyamment et le Maroc ne pipe pas mot. Ainsi va la rivalité musclée et virile, et un peu puérile aussi, entre les deux frères ennemis.

Sitôt après la victoire de l’Algérienne, au Maroc des voix ont commencé à s’élever pour dénoncer cet échec, critiquer l’action de notre diplomatie, éreinter Nasser Bourita, et certains vont même jusqu’à réclamer sa démission. Mais les choses sont plus complexes et doivent être appréhendées avec recul et sérénité. M. Bourita est-il responsable de l’échec du Maroc à remporter le fauteuil de vice-président de l’UA ? Oui. Est-il coupable de quelque chose ? Assurément non.

On peut lui reprocher d’avoir placé la barre trop haut, d’avoir sous-estimé la suspension de cinq Etats africains, amis du Maroc, par l’UA, de n’avoir pas fait tout ce qu’il faut, d’avoir été un peu trop vite ou d’avoir agi dans la précipitation… tout cela est vrai, mais en diplomatie, les victoires et les percées sont rarement totales. Il faut donc mesurer les choses dans leur globalité, et dans leur globalité, le Maroc réussit son entrée à l’UA, à travers les domaines de la sécurité (le Maroc est vice-président d’Interpol pour l’Afrique), de l’influence (membre du CPS deux fois depuis 2017), de la prise d’initiatives (façade Afrique Atlantique, Sahel…), de la migration, et surtout de la coopération et du co-développement économiques. Et quand on appréhende les choses dans leur globalité, alors l’échec de Mme Latefa Akherbach à l’élection de la vice-présidence de l’UA, une fonction largement protocolaire, demeure une simple péripétie, une péripétie qui ne réduit en rien le mérite de notre candidate ni ne remet en cause la rayonnement de notre diplomatie.

On peut également faire grief à Nasser Bourita de ne pas être partageur, de s’accaparer l’appareil diplomatique, d’en monopoliser l’information, dans le sens du blocage plus que du partage, de refuser de communiquer sur la diplomatie nationale, élargissant au possible le domaine du confidentiel, jusques-y compris pour l’affaire du Sahara, pourtant présentée comme l’affaire de tous les Marocains. Or, tout n’est pas confidentiel…

Et toujours dans le domaine de la communication, on peut reprocher à la diplomatie marocaine ses communiqués triomphalistes sur ces Etats qui renouvellent leur appui au plan d’autonomie ou réitèrent qu’il est une « base sérieuse »… des communiqués qui, au final, ne montrent qu’une stagnation des choses avec ces Etats, qui n’entrent donc pas dans le prisme sur le Sahara. On ne peut bien évidemment obliger tout le monde à reconnaître la marocanité du Sahara et le Maroc pourrait avoir des intérêts avec des Etats qu’il ne pourrait donc contraindre à franchir le pas. Mais de là à publier des communiqués bruyants pour pas grand-chose…

On peut, enfin, critiquer Nasser Bourita et avec lui le chef du gouvernement Aziz Akhannouch de n’avoir pas désigné de ministre délégué ou de secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères, une fonction qui existait pourtant dans tous les gouvernements précédents. Plusieurs ambassadeurs étrangers s’en sont étonnés et nombre de responsables subsahariens en ont fait la remarque. Quand on sait l’extrême réserve des ministres marocains à se rendre sur le continent, et même M. Bourita qui n’effectue de visites dans des pays africains que dans des cadres multilatéraux, on ne peut que regretter l’absence d’un secrétaire d’Etat ou ministre délégué aux affaires africaines ou à l’Afrique.

Mais on ne peut sérieusement attaquer Nasser Bourita sur cette seule affaire de la vice-présidence de l’UA, au risque de faire le jeu des Algériens et de faire aussi une fixation sur l’Algérie. Alors que des menaces bien plus grandes nous guettent et des bouleversements bien plus importants nous menacent…

Or, depuis que la diplomate algérienne Selma Haddadi a été élue au détriment de Latefa Akherbach, les analystes et spécialistes ont fleuri et prospèrent sur des positions plutôt rudes, oubliant certainement que malgré ce revers qui reste un simple revers, la diplomatie marocaine se porte plutôt bien. Et comme cette inexplicable et très puérile joie exprimée par les Marocains après l’échec d’Alger à accéder au CPS (provisoirement), les analyses, reproches, conseils et admonestations ont fusé, et continuent de tomber ici et là après l’élection de Mme Haddadi. C’est un peu comme quand l’équipe nationale de foot perd un match ou se trouve disqualifiée, le nombre de « sélectionneurs » autoproclamés explose. Que chacun donne une explication de ce qui s’est produit à Addis Abeba peut se comprendre, mais redéfinir la doctrine diplomatique marocaine ou demander la tête du ministre, comme on réclamerait celle d’un sélectionneur de foot, cela est excessif et déplacé. Il est vrai que Nasser Bourita est un responsable politique qui agit avec beaucoup d’autorité, parfois avec autoritarisme, créant un environnement professionnel fermé, suscitant même souvent une forme de peur… mais c’est le style Bourita, et ce style, c’est aussi la politique des consulats, la réputation de fermeté, la maîtrise des dossiers, le « containment » de l’Algérie, la stabilité et la continuité de la doctrine diplomatique, la mise en place d’un appareil diplomatique sûr et assuré, décomplexé et global…

Pour cette affaire d’échec à l’élection à l’UA, Nasser Bourita devrait quand même s’exprimer et apporter des explications. Si cette infortune de notre diplomatie devait servir à quelque chose, ce serait pour inciter Nasser Bourita à être un peu plus communicatif, en s’ouvrant sur la société de cesser de considérer la diplomatie comme sa chasse gardée, à impliquer et à tirer profit de la grosse légion d’anciens diplomates toujours actifs mais laissés en jachère, à multiplier ses voyages sur le continent ou à demander à s’adjoindre un secrétaire d’Etat ou un ministre délégué qui le ferait à sa place.

Les éléments sont réunis pour former une véritable dream team diplomatique dont le Maroc a besoin pour répondre aux défis qui se présentent au Maroc, pour affronter l’Union européenne, pour confronter Alger, et pour tenir à distance les potentielles et menaces américaines avec le nouveau et très imprévisible président Donald Trump. Comparé à cela, l’échec à l’élection de la vice-présidence de l’UA est un détail de l’histoire.

Aziz Boucetta  

 

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