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(Billet 1127) - Ces héros de l'ombre au Maroc...
L’un des avantages de cette fameuse révolution numérique est qu’elle permet de jeter la lumière sur des personnages, des héros qui, sans l’outil internet, ne seraient jamais connus et reconnus pour leurs actes. Les réseaux sociaux donnent certes aussi une visibilité à de parfaits imbéciles, mais c’est compensé par ces héros des temps modernes qui, par malheur, ne bénéficient que d’un petit quart d’heure de gloire avant de céder la lumière aux autres, les susdits parfaits…
Aux Etats-Unis, ils ont cette culture du héros national, comme ce pilote qui, en 2009, avait fait amerrir son avion en perdition sur l’Hudson River. La France avait eu son héros malien, qui avait escaladé en 2018 la façade d’un immeuble de plusieurs étages pour sauver un enfant qui risquait la grande chute depuis son balcon.
Au Maroc, nous avons notre lot, aussi, de héros. En voici quelques-uns qui ont défrayé la chronique et enchanté, passionné les foules.
1/ Allal Lqadouss : On se souvient de cet homme, légèrement illuminé certes mais qui, en novembre 2014, avait contribué à éviter à la capitale Rabat des inondations encore plus graves qu’elles ne l’étaient déjà. Il s’était plongé dans un égout pour dégager les voies d’évacuation des eaux, ce qu’il réussit à faire, sous les applaudissements nourris d’une foule ravie.
Allal Lqadouss avait eu là alors son moment de gloire. Il en a tiré profit pour s’investir dans les réseaux, avant de s’oublier et de s’égarer dans des discours décousus et diffamatoires qui lui ont valu une condamnation par la justice. Il est depuis oublié.
2/ Ali Sahraoui : En novembre 2022, un petit garçon, Rayan, tombe dans un puits dans le nord du royaume. Les pouvoirs publics se mobilisent, déplacent des montagnes (au propre et au figuré) pour sauver l’enfant ; le monde s’est ému de cette affaire et même le pape François a fait des prières pour Rayan. Ali Sahraoui, un puisatier d’Erfoud, avait fait le déplacement, à ses frais, à Chefchaouen, s’était introduit dans les entrailles de la montagne instable, dans l’étroit conduit qui menait à quelques mètres de Rayan, avec tous les dangers d’effondrement des parois, d’éboulement et d’asphyxie encourus. Malheureusement, tous ces efforts n’ont pas permis de sauver le garçonnet de 5 ans.
On ne sait pas ce qu’est devenu cet anonyme… depuis, oublié.
3/ Abdelilah le poissonnier : Lui, c’est l’actu. C’est l’histoire d’un jeune homme, poissonnier de son état, qui a décidé de casser les prix du poisson pratiqués sur le marché. Il dénonce haut et fort la pratique de certains intermédiaires et leur avidité, prouvant qu’on peut vendre un kilo de sardines, par exemple, à 5 DH…
Que pensez-vous qu’il arriva ? C’est le commerce d’Abdelilah qui ferma. Sur ordre des autorités qui, selon les médias, ont trouvé tous un tas de raisons de lui faire fermer son échoppe (dumping, stockage non réglementaire…). Enfin, bref, il ferma, et annonça quitter le métier de poissonnier. Lui, il n’est toujours pas oublié, vivant son moment de gloire avant les problèmes…
4/ Mohamed Akil : Quand la terre a tremblé et que la montagne a grondé dans le Haouz, ce 8 funeste septembre 2023, l’élan de solidarité fut extraordinaire, gigantesque. Les magasins et grandes surfaces étaient dévalisés et bien des mécènes à la caméra étaient là, bien visibles. Mais seul, sur sa bicyclette, un vieil homme était venu au centre de collecte des aides, et avait laissé la moitié de son sac de farine. De la générosité avec le peu que l’on a, de la vraie générosité. Il ne se savait pas filmé et ne l’aurait certainement pas voulu.
Cet homme a plus tard été salué et loué par le Conseil régional de Marrakech-Safi et aussi par la CAF. Son acte de générosité, de simplicité, d’empathie n’est donc pas passé inaperçu.
D’autres héros ou héroïnes se sont illustré dans ce pays, comme par exemple durant la crise Covid, quand, par exemple, les médecins et les soignants risquaient leur vie et leur santé au bénéfice de leurs malades. Mais on ne peut les lister tous et toutes ici.
Nous vivons à une époque où les sociétés, les jeunesses ont besoin de personnages héroïques qui montrent, au détour d’une tranche de vie, à travers un acte, une action, les valeurs d’entraide, de solidarité et d’altruisme ; des gens qui montrent une voie à suivre et deviennent un exemple pour leurs compatriotes. Dans d’autres pays, ces gens sont honorés, décorés ; ils sont reçus par les hautes autorités du pays qui les remercient pour leurs efforts, leur courage, leur sens du sacrifice. Pas chez nous ; chez nous, on s’emballe, puis on remballe.
Question : Pourquoi un homme comme Allal Ben Abdallah avait-il été érigé en héros et pas les autres ? Il avait eu en 1953, on le sait, ce geste héroïque de s’en prendre à l’imposture française incarnée par Ben Arafa, il en est mort et le Maroc lui en a su gré. Allal Lqadouss et Ali Sahraoui ont risqué, eux aussi, leur vie, mais n’ont pas eu le même traitement honorifique ; Abdelilah le poissonnier n’a pas risqué sa vie mais il a osé affronter des clans ou bandes de spéculateurs dont même le gouvernement se plaint ; et pas un mot du gouvernement.
Et pourtant, une société comme la nôtre, comme celles de notre époque, a besoin de ces héros qui aident les gens à illustrer dans le réel leurs idéaux. En général, ces actes d’héroïsme exaltent des valeurs/idéaux comme l’honneur et le sacrifice, le courage et la justice, et les héros sont ces gens qui ont accepter de renoncer à leur confort, de s’exposer au danger, pour se mettre au service de leur communauté. Les valeurs véhiculées sont éminemment nobles et servent de source d’inspiration (aux dernières nouvelles, des émules d’Abdelilah le poissonnier sont apparus à Tanger et dans d’autres villes…).
Le Maroc, à l’instar des autres nations, a ses héros. Des héros numériques, influenceurs et influenceuses, souvent véhiculant des inepties, à la recherche du clic rémunérateur ou dans l’attente d’une offre émanant d’un parti politique quêtant une introuvable audience, d’un ministre en mal de reconnaissance et/ou de notoriété, d’une administration soucieuse de sa réputation. Ce ne sont pas là les exemples dont a besoin notre société et nos jeunes.
Les jeunes ne font plus confiance aux institutions, alors ils réagissent. Ils créent des coordinations pour remplacer les syndicats, des associations diverses pour remplacer les partis, et des circuits de distribution et d’approvisionnement pour contourner les intermédiaires. Ils sont de plus en plus visibles, face à un gouvernement de moins en moins audible. Des héros sans gloire, face à un Etat sans relief.
Aziz Boucetta
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