(Billet 1149) - La nouvelle approche internationale au Sahara, vitesse et pragmatisme !

(Billet 1149) - La nouvelle approche internationale au Sahara, vitesse et pragmatisme !

On pouvait s’y attendre, et on s’y attendait même beaucoup… le Grand Reset opéré par Trump dans les relations internationales et la géopolitique globale devait toucher le monde entier en tant que bloc, puis les ensembles continentaux et enfin les liens bilatéraux, quand l’intérêt américain est engagé. Et dans l’affaire du Sahara, il l’est, à travers son partenariat avec le Maroc, allié et partenaire, et ses visées géostratégiques sur l’Afrique, avec le Maroc comme point d’entrée.

La méthode Trump est la même, partout : iconoclaste et simple, lisible et autocentrée, elle est servie et portée par des amis inconditionnels du président, novices en diplomatie, qui ne s’embarrassent pas de finesses langagières, allant droit au but, quitte à bousculer, se moquant de déplaire. La méthode, souvent cynique, est quand même tout aussi souvent frappée au coin du bon sens, ce fameux bon sens qui a été dissous dans la complexité, l’unilatéralisme et donc la contradiction des relations internationales. Un bon sens que l’on retrouve, avec une sorte d’ébahissement, avec Donald Trump.

Alors que Steven Witcoff gère les dossiers ukrainien et moyen-oriental, J.D. Vance et Pete Hegseth ont été propulsés vice-président et chef du Pentagone et s’occupent, à leur manière, de l’Europe, et le fameux Elon Musk, armé d’une tronçonneuse, est en charge de dégraisser le mammouth administratif fédéral. Ces hommes ont surgi dans le sillage de Trump avec leur feuille de route, et cherchent à vaincre plutôt qu’à convaincre. Et nous retrouvons Massad Boulos, américano-libanais, arabophone et francophone, comme conseiller pour la zone MENA, qui prendra en main le dossier nord-africain. Nous y sommes.

Décembre 2020, Donald Trump conclut un deal avec le Maroc, puis s’en va. Arrivent Biden et Blinken, qui lambinent, tournent autour du puits, et l’accord n’est donc toujours pas encore entièrement respecté, il manque le consulat, mais peu importe… l’important, aujourd’hui, est de boucler l’affaire du Sahara, en assurant la reconnaissance internationale de l’intégrité territoriale du Maroc et, accessoirement, en réglant le très artificiel différend entre Alger et Rabat. Le conflit dure depuis 50 ans, prenant sa source dans le colonisation et se prolongeant jusqu’à aujourd’hui par le fait de la rationalité néo ou postcoloniale ; en gros, cette zone est sous tutelle silencieuse française et les Français, comme l’Occident plus généralement et les autres puissances, ont toujours un intérêt quelconque à maintenir des conflits (ne serait-ce que pour les armes et le soutien à l’ONU), mais là, les choses changent (et les armes continueront d’être vendues et le soutien à l’ONU monnayé).

Quatre évènements se sont produit ces dernières semaines, marquant une sorte d’accélération de l’histoire de ce conflit : la réunion entre Nasser Bourita et Marco Rubio qui a confirmé la reconnaissance américaine de la marocanité du Sahara, la rencontre de Da Mistura avec la sous-secrétaire d’Etat US Lisa Kenna qui a réaffirmé cette position et indiqué sa feuille de route à l’Envoyé personnel, le brief du même Da Mistura à l’ONU et les délais qui en sont sortis, et l’entrée en jeu de Massad Boulos, qui s’envolera dans les prochains jours dans la région.

Et que dit le nouveau responsable libano-américain ? « Maroc et Algérie doivent se rapprocher ; le Maroc est notre allié et notre partenaire et nous aspirons à de meilleures relations avec l’Algérie ; la solution doit passer par l’adhésion des parties, et ce que le Polisario acceptera, Alger l’entérinera » Ce verbatim rejoint très exactement ce qui avait été dit dans le communiqué de Marco Rubio (« les Américains y travailleront ») et ce qui a ensuite été suggéré par Da Mistura (« les trois prochains mois seront cruciaux »).

La nouvelle approche est pragmatique et dépourvue d’équivoques de la part des Américains : le Maroc est notre allié, mais nous voulons bâtir de meilleures relations avec Alger, donc on va aller rapprocher leurs points de vue, le tout sous reconnaissance de la marocanité du Sahara, qui est la seule solution et cette solution a notre préférence. Cela signifie 1/, que le Polisario est hors-jeu, sauf pour lui imposer une paix qui n’a que trop tardé, la fable du « peuple sahraoui » aura fait long feu après que le Polisario eût vainement tenté de faire le coup de feu, et 2/ que si Alger ne veut pas prendre la main tendue, la même main pourrait alors brandir un bâton.

Dans tout cela, plus guère d’histoire, de Méditerranée, de colonisation, de velléités de domination par la division, de sentiments ou même de ressentiments ; l’heure est au pragmatisme, Trump est pragmatique, et cette affaire sera résolue, d’autant plus que la diplomatie marocaine se montre justement très pragmatique, face à une posture algérienne dogmatique, pesante, passéiste, à contresens de l’histoire. En effet, et en dépit du mutisme ou de l’autoritarisme qu’on peut lui reprocher dans certains domaines, il faut reconnaître que Nasser Bourita, dans la question du Sahara, a fait un parcours sans faute (ou presque), a mis en place une diplomatie conquérante (ou presque) et a pris des initiatives sans pareil (ou presque), comme les consulats.

Encore une fois, si les choses se passent ainsi, Europe et France se seront laissé dépasser par l’Oncle Sam. Elles, elles ouvrent des réflexions, et lui ouvre des chemins vers les solutions ; elles font des calculs savants et complexes, lui fait aussi des calculs mais simples et rapides ; elles restent engluées dans une logique historique dépassée, lui construit un avenir, le sien ; elles se montrent désemparées face à la marche nouvelle du monde, lui s’est emparé des affaires du monde.

Alors que l’Europe continue de normer, de cadrer, d’asséner des leçons auxquelles elle ne croit même plus, de se considérer supérieure en y croyant fortement, de développer une peur de l’islam, de l’Arabe, du Noir, de l’Autre, quel qu’il soit… le Maroc se projette dans son avenir africain, les Chinois œuvrent à plus et mieux s’ancrer aux réalités actuelles sur le continent, les Russes y reviennent, Indiens, Turcs, Israéliens, Brésil et d’autres cherchent à y trouver une voie d’entrée. L’Europe, ce « jardin » autoproclamé, est en train de se fermer au monde qu’elle continue de regarder comme une « jungle » aspirant à l’envahir.

Aujourd’hui, face au rouleau compresseur américain qui se dirige vers notre région, le Maroc devra déployer toute la finesse diplomatique qu’il aura acquise en plusieurs siècles d’histoire ; les Américains, en dépit de leur bonnes intentions affichées, pourraient en effet – si ce n’est déjà fait – demander des contreparties au royaume. De son côté, l’UE gagnerait à décider et se décider de se rapprocher de l’Afrique, son « hinterland » naturel et sa seule voie de salut ; et pour ce faire, elle devra renoncer aux circonvolutions institutionnelles et au partage des rôles entre ses organes et proposer des politiques hardies, réalisables et qui seront effectivement réalisées. Autrement, l’agressivité diplomatique des autres Grands relèguera le Vieux Continent (vieux par l’Histoire certes, mais aussi par sa population et ses doctrines) dans son Ehpad fleuri.

Il reste cependant au Maroc à accompagner cette accélération de l’histoire ! Il est aujourd’hui temps d’affiner et de détailler notre proposition d’autonomie, comme réclamé par nos partenaires. Pour ce faire, et dans le double objectif de conférer à cette proposition une légitimité populaire et nationale et de confirmer que la question est celle d’un peuple et non d’un Etat, il serait plus qu’indiqué de lancer un débat national, impliquant partis politiques et société civile, dans la réflexion sur ce projet d’autonomie afin de prouver au monde qu’il s’agit bien… d’un « véritable projet d’autonomie » !

La diplomatie classique vit ses derniers jours, s’estompant face à une approche plus musclée, plus décidée. On disait que, comme le renseignement, la diplomatie était métier de seigneur, elle est aujourd’hui métier de saigneur.

Aziz Boucetta

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