(Billet 1163) - Les jeunes au Maroc, être et mal-être

(Billet 1163) - Les jeunes au Maroc, être et mal-être

Depuis le dernier recensement général de la population, on ne parle plus que de pic démographique et de l’amorce d’un vieillissement de la population à partir de dans une quinzaine d’années. Soit, mais aujourd’hui, avant qu’il y ait moins de jeunes, il y en a assez, et ils posent problème. Sauf que le problème n’est pas eux, mais l’incompréhension qui entoure leurs êtres, leurs modes de fonctionnement, leur adhésion et implication dans les affaires de la cité. Le problème, ce ne sont pas les jeunes, mais ceux qui en sont en charge.

Les jeunes ne s’intéressent pas à la politique dans ce pays, et c’est bien naturel et normal, puisque la politique est inintéressante, tant pour les jeunes que pour les moins jeunes. Ainsi, en matière politique, on estime à 1% le nombre de jeunes adhérents à un parti politique ou un mouvement syndical, et 70% d’entre eux déclarent ne pas faire confiance à la chose et à la classe politiques. Et pour cause… d’une part, avec un taux de chômage de 36% sur les 1,6 million de sans-emploi, un décrochage scolaire et universitaire important et l’augmentation de l’emploi informel et, d’autre part, face à des personnels politiques aussi peu convaincants que très soporatifs, déroulant des discours des anciens temps, on comprend la désaffection des jeunes. Ils vivent dans leur monde et leur monde est différent de celui des dirigeants.

Sont-ils donc tous déconnectés de nos réalités et détachés des contingences politiques, les jeunes ? Assurément non, puisqu’ils sont par ailleurs très actifs sur le net d’une manière générale et les réseaux sociaux plus particulièrement. Et cette présence sur le net est en elle-même porteuse des germes de la désaffection, car internet c’est d’abord la communication, l’immédiateté, la liberté de pensée et de parole, et surtout la liberté de rêver à des lendemains meilleurs, ou au moins moroses. Or, quand un jeune adhère à un parti, par la voie normale et pas par celle du père ou de la maire, il s’entend signifier qu’il doit attendre, faire carrière, patienter que ses aînés passent… autant de choses que les jeunes n’aiment pas entendre, encore plus qu’attendre.

En face, les partis et leurs seniors/seigneurs de dirigeants réagissent, pensant bien mais en réalité mal. Ils se pensent dans le vent en grossissant le trait de leur « djeunisme », utilisent un langage « branché », adoptent des attitudes « connectées », instagramment à plein régime, twittent pour les plus instruits et tiktokent tous à fond. Certains, pensant ainsi se faire comprendre, vont dans le langage ordurier, comme si les jeunes étaient vulgaires, et d’autres s’investissent dans les attaques ad hominem, croyant faire bien et faire plaisir.

Mais de sérieux, point. Pour répondre à la demande politique de plus en plus précise des populations marocaines, jeunes et moins jeunes, l’indigence de l’offre politique de nos responsables politiques est effrayante, glaçante. Nous allons, pour les élections à venir en 2026, à grande vitesse dans le mur de l’abstention et de la décrédibilisation du scrutin ; or, en 2026, outre la gestion du Mondial 2030 et des milliers de journalistes, observateurs et simples curieux qui viendront s’intéresser à ce pays qui ose jouer dans la cour des grands, il faudra gérer le grand reset de la géopolitique mondiale, les menaces sécuritaires posées par nos très instables voisins, l’affaiblissement structurel de notre principal partenaire européen, le lancement de tous ces grands projets dont on nous parle et qui en sont à leurs balbutiements, et aussi le malaise issu (entre autres) de cinq années d’un gouvernement particulièrement impopulaire.

Mohamed Ouzine du MP s’amuse, le PAM attend sa muse et le RNI d’Aziz Akhannouch abuse ; le PJD s’enflamme sur Gaza et s’excite sur le RNI et son président, mais ne propose rien d’intelligible, et l’USFP s’arcboute sur son chef inamovible, vissé sur son piédestal. Il reste Nabil Benabdallah et Nizar Baraka, compétents et gentils mais ce n’est pas suffisant, car s’ils sont crédibles, ils restent inaudibles ; le premier doit amplifier son message et le second l’affiner, le peaufiner.

Pour leur part, les jeunes s’expriment de diverses manières. Les jeunes artistes écrivent des « chansons à message » et certains se sont retrouvé derrière les barreaux, à la grande colère de leurs contemporains, les Ultras du Raja chantent leur désarroi dans des tifos à donner la chair de poule, les vidéos pullulent sur youtube et expriment la colère des jeunes (on ne parle pas des vidéastes spécialisés dans le complotisme ou la charge ordurière depuis l’étranger), les intellectuels, jeunes et moins jeunes, décortiquent les politiques publiques et montrent leurs travers et leurs défaillances… Et tout cela forme une opinion publique, crédible donc crue, audible donc suivie, massive et puissante, qui n’ira pas voter, qui le dit et qui l’assume.

Il devient urgent, en conséquence, de parler à nos jeunes et de nos jeunes. Parler à nos jeunes, pour les convaincre du bienfondé du vote et de leur implication dans l’opération politique ; et parler de nos jeunes pour faciliter la chose, par l’inscription automatique sur les listes électorales, et pourquoi pas l’introduction du vote électronique dans certaines régions ou villes (où l’abstention est préoccupante)… Mais avant, il appartient aux politiques de lutter contre ce mal-être de notre jeunesse et ses 4,5 millions de NEETs qui, disent en substance certains d’entre eux ayant tenté la migration ces dernières années, « nous préférons risquer de mourir en allant vers la vie que de vivre ici et de mourir à petit feu ». Que répondre à cela, après les larmes ?

Que les jeunes se sentent considérés, qu’ils s’estiment pris en compte par les décideurs politiques et qu’ils voient des changements, et ils s’intégreront à leur société et à la politique de leur pays. La question demeure cependant de savoir si les décideurs veulent, réellement, qu’ils intègrent l’opération politique et qu’ils s’intègrent en politique. Mais cela est une autre affaire…

Aziz Boucetta

 

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