
(Billet 1198) – Affaire Betty Lachgar … une fois l’émotion passée, réfléchir est une option
Et voilà une affaire rondement menée… Ibtissam « Betty » Lachgar, 50 ans, vient d’être condamnée par un tribunal de Rabat à une peine de deux ans et demi d’emprisonnement assortie d’une amende de 50.000 DH. L’affaire est très médiatisée en raison du chef d’inculpation portant globalement sur une offense à Dieu et à la religion. Voilà donc, le verdict est tombé, mais personne n’est satisfait ; les soutiens de Mme Lachgar sont ulcérés par la sévérité de la sentence, et ses contempteurs sont atterrés par la « clémence » des juges. Maintenant, reprenons calmement…
Oui certes, une décision de justice ne se commente pas dit-on, mais il n’est pas interdit de réfléchir autour. Que reproche-ton au juste à Mme Lachgar ? D’avoir porté un t-shirt portant une mention offensante à l’égard de Dieu. Fort bien. C’est interdit, c’est blasphématoire, c’est condamnable ; elle a blasphémé en bravant l’interdit, et elle a donc été condamnée. C’est ce que pensent les juges du tribunal de première instance. Première instance, donc… On verra ce que dira la juridiction supérieure, la cour d’appel. Car, en effet, il y a à dire…
Qui est Ibtissam Lachgar ? Une militante. Une militante franche et massive, connue pour ses positions intransigeantes au sujet de la liberté de conscience et reconnue pour sa défense acharnée des libertés individuelles. Elle a co-fondé et animé le groupe MALI (Mouvement alternatif pour les libertés individuelles), elle a bousculé bien des habitudes et introduit bien des débats, souvent à ses risques et périls. Elle est par ailleurs psychologue, c’est-à-dire qu’elle sait ce qu’elle fait et ce qu’elle risque. Certains pourraient la condamner pour cela, mais c’est au contraire son mérite : « Betty » Lachgar coche toutes les cases du militantisme engagé. Ce pays en a besoin, même si elle dérange… surtout quand elle dérange.
Une fois la photo incriminée publiée, en plein milieu de la chaleur estivale, les uns et les autres ont brusquement émergé de leur torpeur caniculaire. Me el Mostafa est entré dans une de ses célèbres colères, Me Abderrahim Jamaï lui a emboîté le pas, le taclant, lui aussi à son habitude, et les réseaux sociaux ont pris la suite, dans leurs excès connus. Puis le parquet a fait son office en l’interpellant, puis en la plaçant en garde à vue, et dans la foulée le juge a décidé son incarcération dans l’attente de son procès ; une fois ce procès tenu, la voilà condamnée. Tout cela est logique et parfaitement légal. On ne commentera pas la décision mais on peut réfléchir à ce que serait la démarche de la cour d’appel.
Sachant que la photo par laquelle le « scandale » est arrivé est ancienne, qu’elle n’a pas été prise au Maroc, et que des doutes subsistent sur l’identité de la personne qui l’a postée sur X, on peut relativiser la responsabilité pénale de « Betty » Lachgar. Et c’est d’autant plus important que cette dame est malade et que son état de santé nécessite une surveillance étroite, et peut-être même une intervention chirurgicale. Il est bien possible que ces derniers arguments ne soient qu’arguties voire boniments de la défense et des partisans et amis de Mme Lachgar pour la disculper, mais c’est facile à prouver, et si c’est prouvé, pourquoi embastiller une dame qui ne présente aucun danger pour la société, qui ne met en péril que sa propre personne, et qui gagnerait à bénéficier de la clémence des juges d’appel, et si ce n’est pas le cas, de se voir appliquer une peine alternative ?
Pourquoi instaurer des peines alternatives pour au final incarcérer une personne comme Mme Lachgar ? Notre justice n’est pas un instrument de vengeance ou un outil de répression de la libre expression, même quand celle-ci peut être outrancière. Outrancière, elle l’aurait vraiment été avec l’intention. Or, la photo a été prise en dehors du Maroc, dans d’autres circonstances, même si l’intéressée l’assume. Alors, notre justice qui vient d’avoir entre les mains un instrument nouveau pour aménager les peines ne devrait-elle pas, dans une juridiction supérieure, prendre en compte tout cela ? Une fois l’émotion et l’énervement conséquent passés, réfléchir sereinement serait une option utile.
N'étant ni terroriste ni récidiviste, condamnée à moins de cinq ans de prison, « Betty » Lachgar remplit les conditions de la peine alternative ; elle ne présente un danger pour personne sinon pour elle-même. L’incarcérer ne serait pas injuste, car la loi est la loi, mais excessif ; aménager sa peine ne serait pas laxisme, car l’esprit de la loi est là, mais humain. Si c’est elle qui a posté cette photo d’elle, on peut comprendre que la justice veuille calmer la colère des croyants les plus énervés en la condamnant, mais pas en l’incarcérant, et c’est exactement pour cela que le principe des peines alternatives a été adopté.
Notre justice sera-t-elle aussi « compréhensive » et magnanime que le fut le parquet dans une autre récente affaire très médiatisée, celle de Mme Ghita Asfour ? Et, au-delà, notre justice ne devrait-elle pas se montrer plus clémente sur les peines de prison qui pourraient être évitées… ne devrait-elle pas être aussi clémente et miséricordieuse que le divin qui a été offensé, aussi clémente et miséricordieuse que peut l’être la patrie, aussi clémente que le fut le roi quand il avait accordé fin juillet sa grâce à une vingtaine de milliers de personnes en un seul bloc ? Dieu, la patrie, le roi sont cléments et miséricordieux, il reste sans doute à la justice de faire sienne cette clémence. Le Maroc a besoin de tous ses enfants, même ceux qui se placent à la marge et bousculent les habitudes, car c’est ainsi que l’on avance, et non dans le consensus tantôt craintif tantôt vindicatif.
La réponse viendra des tribunaux.
Aziz Boucetta
Commentaires