
(Billet 1203) – Mayssa Salama Ennaji au PPS ? Le mercato électoral est lancé
Oui, nos politiques n’apprécient pas trop ce terme de « mercato » car, disent-ils, ils renvoient à un jeu… or la politique, expliquent-ils, n’est pas un jeu. Certes. Mais la politique est ouverte à toutes et tous, du moment qu’ils/elles remplissent les conditions. Au lendemain du discours royal du Trône, fin juillet, la campagne électorale est lancée. On ne le dit pas, chez les politiques, mais on n’en pense pas moins et on n’agit pas autrement.
Le ministre de l’Intérieur Abdelouafi Laftit réunit sécuritaires puis chefs de partis, et ensuite il met ses walis et gouverneurs en ordre de marche et en formation de combat. Le chef du gouvernement Aziz Akhannouch fait une sortie médiatique aussi hasardeuse que désastreuse, mais il a parlé. Enfin. Il s’est attiré la réponse et les foudres du PJD et de son numéro 2 Driss el Azami el Idrissi qui, lui, connaît les lettres et les chiffres, et les a assénés dans un message vidéo percutant, pleine d’humour vitriolé.
Quant au RNI, à quelques exceptions près, il a lui aussi lancé sa campagne électorale. A quoi le voit-on ? A la ruée de ses dirigeants dans les abris, pour s’enfermer dans un prudent et salvateur silence. Dans ce parti, la parole est certainement libre, mais elle est étrangement muette. On ne critique pas le chef, et on se retient prudemment de voler à son secours quand il en a besoin, et il en a besoin ô combien !
Et ainsi va donc la vie dans notre paisible Maroc. Paisible ? Pas si sûr. La toile est bruyante, assourdissante même, avec tous ces vidéastes, certains influenceurs, d’autres affabulateurs, tous professeurs, avec quelques-uns tout de même maîtres-chanteurs. Et ils accablent, assènent, diffament, accusent ; tout le monde y passe, et de préférence les hauts responsables sécuritaires et judiciaires, avec un coup de patte contre la diplomatie et même quelques piques à l’encontre du palais.
Le décor est donc planté, cette campagne sera numérique. Numérique et hystérique. Et tout le monde s’y prépare, selon une logique qui diffère de ce que nous connaissons. Depuis que la nouvelle constitution a été adoptée, chaque élection voit son parti épouvantail : en 2009, on craignait ce petit parti qui naissait à peine et qui raflait tout aux municipales, le PAM, et haro donc sur le PAM ; en 2015-2016, le petit parti devenu grand par la grâce d’on ne sait quoi ou qui (même si on en a une idée…) voulait encore tout prendre, mais alors tout, donc tir nourri sur le PAM. En 2021, le Maroc électoral a connu une forme d’union sacrée contre le PJD, sans jeu de mots, et le PJD mordit la poussière. En 2026, c’est évident, cela sera l’anti-bleu, tous contre Aziz Akhannouch !
Et alors donc que nous sortons de notre torpeur estivale, voilà que l’une des voix les plus écoutées sur les réseaux, celle de Mayssa Salama Ennaji, nous gratifie d’une vidéo de son cru où elle critique tout et tous, comme à son habitude, et déclare sa flamme politique au PPS de Nabil Benabdallah pour, dit-elle, ses idées, ses positions,… et elle attire et s’attire une réponse immédiate du patron attesté et incontesté du PPS qui loue et chante sa « grande influence », sa « popularité avérée » et ses « considérables talents en communication ». Et c’est vrai. Mayssa est l’une des premières influenceuses du pays, avec des centaines de milliers d’abonnés/followers comme on dit de nos jours.
L’objectif recherché est atteint. Les gens en parlent : « Nabil a-t-il bien fait ? », pour les amis dudit Nabil… « Benbadallah ratisse large » pour ceux qui ne le connaissent pas… « Mayssa la folle », pour ceux qui veulent aller vite et ont le jugement facile… « rien d’officiel encore », pour ceux que ce rapprochement politique inquiète…
Tout cela n’a rien d’étonnant. Le Maroc vit dans son siècle, et fait sienne la logique et les pratiques de notre siècle. Les débats se déchaînent sur le net, les critiques (et les insultes) fusent sur les réseaux, les idées jaillissent numériquement, les oppositions se crispent derrière les écrans. Aux Etats-Unis, en France, au Royaume-Uni, en Italie, en Russie, au Sénégal, les influenceurs sermonnent, s’opposent, expliquent, dévisagent et envisagent, orientent et influencent une élection… bref, sur internet, les influenceurs influencent.
Les élections aujourd’hui, c’est de l’argent, versé directement entre les mains de qui il faut, ou indirectement au moyen de puissantes campagnes publicitaires ou communicationnelles numériques. Mais les élections, aujourd’hui, ce sont aussi les influenceurs. Nabil Benabdallah, avec son flair politique ne s’y est pas trompé, réagissant rapidement et positivement. Lui aussi, pour son parti, utilise la couleur bleue, mais dans un livre ouvert, contrairement au club fermé, tout aussi bleu, du RNI…
Qui est Mayssa Salama Ennaji ? Une dame qui a ses opinions, tranchées, acérées, qui n’a pas froid aux yeux, qui n’a pas sa langue dans sa poche, qui a du nez et dont les propos sifflent aux oreilles de ses cibles. Portée par son incontestable popularité, elle voulait créer un parti politique, mais elle a vu trop grand, alors elle a reconsidéré les choses et opté pour le PPS. Pourquoi le PPS ? Parce que des partis d’opposition, il est le seul à disposer d’un discours politique rationnel, d’avoir quitté le gouvernement depuis assez longtemps pour avoir recouvré un semblant de crédibilité, d’avoir un chef qui ose, propose et s’expose. Mais le PPS, grand par son histoire, ses dirigeants passés et son positionnement actuel, il est néanmoins petit par la taille et même lilliputien par les moyens financiers et matériels ; il doit compenser, et Mme Salama Ennaji est à même de compenser son manque de moyens, en plus d’être citoyenne impliquée – à sa manière mais impliquée quand même – dans la vie de la cité.
Un autre atout, et non des moindres, de l’influenceuse : sa capacité à s’en prendre aussi directement que vertement au chef du gouvernement, dévoilant des faits qu’elle seule peut se permettre de révéler, dans un langage qui porte et qui est celui de cette nouvelle génération Z qu’il vaut mieux canaliser que laisser en roue libre (comme au Népal, voir billet 1202). Un autre atout de Mme Salama Ennaji est son aptitude à raisonner simplement et rationnellement sur bien des sujets de société, et de tenir un langage non convenu. Et c’est là que se situe aussi la limite de la voir, un jour prochain, sous la coupole du parlement, et cette limite, ce risque est celui de « buzzifier » le débat parlementaire, et ce risque devra être assumé par le PPS. On verra bien car ce recrutement d'influenceurs ne fait que commencer.
La campagne électorale est donc lancée, on le sait, mais elle accélère de plus en plus et ses contours numériques se précisent. A qui le tour ?
Aziz Boucetta
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