
(Billet 1206) - Les milliardaires, aujourd’hui au pouvoir, demain au prétoire
Depuis que, internet et réseaux sociaux aidant, les élections sont devenues affaire de riches, ils sont de plus en plus de milliardaires à être subjugués, attirés, intéressés, happés par le pouvoir. Le problème est que la nature de la politique n’a pas changé : il s‘agit globalement de régler et solutionner les problèmes d’une nation, d’une société, d’une économie. Pour cela, les grands hommes d’Etat étaient des idéologues, des penseurs, des orateurs. Aujourd’hui, conquérir le pouvoir pour ces milliardaires consiste à bien investir, mais leur nature autocratique ne changeant pas, ils finissent tôt ou tard à mêler affaires privées et intérêts personnels, et peu ou prou à affronter la justice.
Le problème en effet est que les milliardaires, capitaines d’industrie, tycoons ou vulgaires nababs sont rarement des démocrates ; ils ne le sont pour ainsi dire jamais. La raison est simple : ils ont fait leurs armes dans l’entreprise, qui est tout sauf une démocratie ; et pour cause, le capital est impérieux et son détenteur impérial. Les milliardaires sont donc habitués à être obéis, strictement, scrupuleusement par leurs gardes rapprochées, leurs armées de courtisans, leurs cohortes de collaborateurs, leurs légions d’affidés. Ils savent déjouer la loi, contourner les règles… sauf que le faire dans le privé peut être légal, avec la cohorte de conseillers juridiques et fiscaux dont ils s’entourent, mais que dans le public, jouer et se jouer des lois et de l’éthique relève du pénal.
Quand un financier, un industriel recherche le pouvoir et fait tout pour y accéder, c’est généralement le fruit d’une puissance contrariée et d’un ego démesuré. Ces gens décident de tout, font tout, investissent et s’investissent en tout, mais ils se retrouvent un jour ou l’autre bloqués, freinés, ou même ralentis par des réglementations ou, pire, par des réglementateurs. Il faut donc qu’ils se placent au-dessus d’eux et, pour cela, une seule solution : s’investir dans les élections et y investir autant qu’il faut. Jadis, cela était impossible, car la politique était affaire d’idéologues, de leaders, de visionnaires, tous orateurs charismatiques ; aujourd’hui, la révolution numérique a induit la révolution démocratique, ouvrant grand ses portes et encore plus grand ses bras à de nouvelles créatures politiques, les ultrariches.
Résultat : Des milliardaires devenant chefs d’Etat ou de gouvernement et qui, pour conquérir ces positions, doivent se montrer intraitables, adogmatiques et caustiques. Et après ? et bien après, ils le restent. Et ils agissent tous de la même manière, en l’occurrence en donnant des ordres et en étant obéis. Cela les mène souvent à se jouer des lois ou à les déjouer et cela les conduit, aussi, invariablement, devant la justice. Florilège.
1/ Donald Trump. A tout seigneur, tout honneur… Celui qui est aujourd’hui chef de la première puissance mondiale, qui agit comme un Boss, accumule, enchaîne, multiplie et collectionne les procès en tous genres et pour toutes sortes d’affaires. Le fisc s’intéresse à lui pour non déclaration des revenus réels, le ministère public s’occupe de son cas pour faux témoignages et subornation de témoins, le parquet fédéral se préoccupe de ses manœuvres électorales. Il a failli aller en prison pour non observation des lois et des règles, mais il est protégé par ses médias amis, ou les siens (Truth Social), et aussi aujourd’hui par une majorité parlementaire fidèle, loyale, inconditionnelle.
2/ Silvio Berlusconi. Il fut l’un des premiers milliardaires à « acheter » le pouvoir. Il s’est appuyé sur son empire médiatique, et sur le foot, mais il a été poursuivi pour toutes sortes d’affaires, dissimulation fiscale, mœurs débridées, avec mineures à la manœuvre, conflits d’intérêts, faux en écritures, subornation de témoins. Il a été condamné à une peine de quatre ans de prison, commuée en travaux d’intérêt général. Il a été défendu par son groupe de médias et ses majorités successives.
3/ Thaksin Shinawatra. Premier ministre de Thaïlande à l’aube de ce siècle, il a été convaincu de plusieurs affaires de corruption, d’abus de pouvoir et de conflits d’intérêt quand il était aux affaires et qu’il faisait ses petites affaires. Renversé par la troupe en 2006, il s’est enfui et a vécu en exil. Il a été défendu par son groupe de télécommunications qui avait une influence directe sur les médias.
4/ Cyril Ramaphosa. Le chef de l’Etat sud-africain, milliardaire lui aussi, est entouré de soupçons de corruption et de conflits d’intérêt, et l’affaire Phala Phala lui colle à la peau, pour soupçons d’obstruction à la justice. Lui n’a pas été protégé par des médias qui lui appartiendraient ou par des sociétés qu’il contrôlerait et qui influenceraient les médias, mais il a été défendu par sa très forte majorité parlementaire qui a bloqué toutes les enquêtes pouvant le menacer.
5/ Rafic Hariri. Il fut premier ministre du Liban, et milliardaire, avant d’être assassiné et remplacé par son fils Saad. Aucune affaire en justice enregistrée contre eux, mais bien des soupçons de corruption, de prises et de conflits d’intérêt. Les deux n’ont jamais été inquiétés par la justice, mais il est bien connu que les luttes de factions, le Hezbollah et l’extrême balkanisation communautaire et confessionnelle du Liban empêchent une justice active.
6/ Petro Porochenko. Milliardaire ukrainien, il a été président de son pays de 2014 à 2019, et après son départ, il a été poursuivi pour une quinzaine de chefs d’inculpation, allant de l’évasion fiscale au conflit d’intérêt, en passant par la corruption et le blanchiment d’argent. Lui, il n’a dû son salut qu’à la guerre déclenchée en février 2022, mais les accusations sont toujours là.
7/ Sebastián Piñera. Chef de l’Etat chilien à deux reprises (2010-2014 et 2018-2022), il a été cité dans plusieurs affaires de conflits d’intérêts. Protégé par ses nombreux intérêts dans les médias publics ou privés, il a affronté une procédure de destitution, laquelle n’a pas abouti, faute de majorité qualifiée, les sénateurs de son camp, la pression médiatique et les réseaux d’affaires ayant pesé de tout leur poids pour, plaidaient-ils, « éviter une crise institutionnelle ».
Etc, etc… Qu’on soit milliardaire ou adossé à des nantis, on ne respecte pas beaucoup la justice. Et les mêmes causes, c’est bien connu, engendrent les mêmes effets et les mêmes comportements de ces personnes, avec arrogance, suffisance, esprit de domination et politique d’ostracisation des faibles. Quid de notre chef du gouvernement, de son gros groupe parlementaire, de certains de ses ministres et de ses médias ? On n’a jamais autant parlé au Maroc de conflits d’intérêt, d’enrichissement illicite, d’avancée de la corruption que depuis ces quatre dernières années.
Dans le monde entier, dont le Maroc, les riches en politique ont les mêmes agissements. Dans le monde entier, et même au Maroc, les juges auront-ils la même implication ? L’avenir crachera le morceau.
Aziz Boucetta
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