(Billet 769) – La lente fin des partis Basri

(Billet 769) – La lente fin des partis Basri

Ce weekend, le Maroc a perdu le discutable privilège d’avoir l’un des plus vieux chefs de partis au monde, en la personne de Ssi Mohand Laenser, désormais ancien patron du Mouvement populaire et élu à cette fonction en 1986. Il a été remplacé à la fonction de secrétaire général du MP par Mohamed Ouzzine, à l’issue du congrès tenu ce weekend. Avec son départ, la déliquescence des partis de l’ère Basri se poursuit, voire s’accélère.

C’est une période de l’Histoire récente du Maroc que les moins de 40 ans ne peuvent pas connaître, surtout s’ils ne s’intéressent pas à la tambouille politique marocaine, ce qui serait par ailleurs bien compréhensible... Entre la fin des années 70 et le début des années 80, le ministre de l’Intérieur d’alors, le fameux Driss Basri, avait eu comme mission de créer de la « concurrence » aux partis du Mouvement national, les très remuants et populaires car (alors) crédibles Istiqlal, USFP (dans une moindre mesure l’UNFP) et PPS, qui avaient créé la Koutla al-Wataniya, laquelle devait devenir plus tard la Koutla démocratique.

A cette époque-là, leurs dirigeants respectifs, feus Mhamed Boucetta, Abderrahim Bouabid et Ali Yata disaient tout haut et clairement (presque) ce que tout le monde pensait discrètement et prudemment. En cette fin de la décennie 70 aussi, qui avait funestement commencé par deux coups d’Etat et qui avait aussi connu, plus glorieusement, la Marche verte et les premières élections générales qui ressemblaient vaguement à des élections, la crise multiforme menaçait, financière et économique, donc sociale et possiblement politique.

Face à cette conjoncture difficile, le roi Hassan II avait donc besoin, aux yeux du monde et même de son opinion publique – qualitativement différente de l’actuelle – d’une classe politique faisant plus ou moins bonne figure.

Et l’obstétrique politique pouvait donc commencer…

Ainsi, suite aux élections législatives de 1977, qui avaient connu un nombre impressionnant d’élus « indépendants », le beau-frère du défunt roi Hassan II et ancien premier ministre Ahmed Osman les avait rassemblés sous le nom (peu original) de Rassemblement national des Indépendants. Globalement, ce parti avait pour consigne de ne jamais dire non, et de toujours dire oui… ou plutôt de dire ce qu’on lui disait de dire. Près d’un demi-siècle plus tard, la question peut légitimement être posée de savoir si cela a changé… pas vraiment, mais ce qui semble inéluctable, c’est que le RNI, après l’actuelle parenthèse gouvernementale, devrait dépérir, peut-être même périr. En effet, comme toute entité ayant vécu sous perfusion (ici, financière), le sevrage peut être fatal.

Mais il fallait le renforcer, d’où la création de l’Union constitutionnelle, confiée à feu Maâti Bouabid, lui aussi premier ministre jusqu’en 1983, et ladite UC devait enfanter d’autres petits partis qui faisaient l’appoint et, occasionnellement, sur ordre, le coup de poing. Après une longue période de déshérence, le parti plonge dans une sorte de déchéance, tentant désespérément d’entrer dans des coalitions gouvernementales, prêt encore une fois à se vendre à vil prix. Le problème est qu’on ne vend que ce qui a une valeur… Et dernièrement, l’UC s’est dotée d’un nouveau secrétaire général, à l’immense indifférence de tous.

En 1986, suite à une énième fronde du frondeur habituel Mahjoubi Aherdane au parti historique Mouvement populaire, Driss Basri avait actionné des leviers pour ouvrir une trappe sous les pieds de l’ancien militaire et haut dignitaire, avant de dérouler prestement un tapis rouge sur cette trappe, sur laquelle marchait triomphalement Mohand Laenser… lequel, 36 ans plus tard, vient de quitter cette fonction de patron du MP, pour la laisser à un autre futur vieux apparatchik, actuellement encore jeune homme de 53 ans, du nom de Mohamed Ouzzine. L’homme est instruit, cultivé, expérimenté, gouailleur au besoin, orateur si besoin, polyglotte, mais il est bien dommage que tous ces talents soient aujourd’hui mis au service d’une forme de pitrerie au parlement. Ses déboires de ministre sont oubliés, mais c’est son rôle actuel de député qui pose problème, car ses sorties semblent faites dans le seul but de contrer le gouvernement et surtout son chef, dans des discours sans épaisseur, sans consistance, à consommer avec modération, pour les oublier aussitôt.

RNI et UC furent donc créés pour affronter la Koutla, distraire et mettre de l’ambiance, et le MP fut reconfiguré, un peu même défiguré, dans le même objectif. Et ce glorieux attelage avait été appelé, par l’ancien ministre de l’Intérieur, al-Wifaq al-Watani (Entente nationale). Et le résultat fut aussi faible que peut l’être le personnel de ces partis. En réalité, quand la Koutla existait encore, le Wifaq était bien terne, et quand la Koutla a cessé son combat, faute de combattants, le Wifaq n’avait plus de raison d’être, et donc n’est plus que l’ombre de l’ombre qu’il a toujours été.

Et ainsi donc, conclusion logique, les partis dudit Wifaq al-watani (ou Entente nationale), supposés affronter ceux de la Koutla, sont dans une phase d’extinction, soit entamée, pour l’UC, soit imminente, pour le MP, soit programmée, pour le RNI. Il reste aujourd’hui une USFP moribonde, un Istiqlal en attente de trouver un nouveau souffle (peut-être lors d’un congrès qui tarde) et un PPS, considéré comme « élite » des partis mais qui reste peu, ou mal compris.

Dans l’attente d’un véritable élan politique, avec du vrai personnel politique, les populations se concentrent sur leurs réseaux sociaux, sur leurs problèmes économiques, et sociaux, et descendent en masse dans les rues, pour fêter bruyamment, non l’élection de Mohamed Ouzzine, mais la consécration de leur équipe nationale de football.

Aziz Boucetta

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