
(Billet 1145) – Commission d’enquête sur les viandes… de quoi la majorité a-t-elle peur ?
On peut le dire aujourd’hui, nous sommes face au plus mauvais gouvernement de l’histoire du Maroc indépendant. L’exécutif coche toutes les cases de la mauvaise gouvernance, de la mauvaise communication, de la mauvaise gestion des deniers publics et de la mauvaise gestion des conflits. Dernier avatar : la majorité refuse la commission d’enquête sur les prix des viandes rouges. ; à se demander ce qu’elle craint… Nous qui, selon le RNI, étions supposés « mériter mieux », pourquoi allons-nous de pire en pire ?
On le savait dès le départ et nous en avons chaque semaine, chaque mois la confirmation. Le RNI agit en meute plutôt qu’en parti. La meute attaque en groupe, se défend en groupe, se calfeutre dans son siège rbati et multiplie les signes de mauvaise humeur face aux interrogations et aux accusations. Les deux autres partis sont des faire-valoir. Leurs ministres, du moins les plus gradés dans leurs partis, s’acquittent certes de leurs tâches au sein de l’exécutif, mais leur silence prolongé et répété face aux excès et aux abus rend leurs partis comparses, au risque de devenir complices.
Quand la loi sur l’enrichissement illicite a été abandonnée, ils n’ont rien dit ; quand la loi sur le conflit d’intérêt a été escamotée, ils n’ont toujours rien dit ; quand il avait été décidé d’interdire à la société civile d’attaquer en justice des élus soupçonnés de malversations, ils n’ont encore une fois rien dit ; quand les nombreuses controverses de conflit d’intérêt et de délit d’initié ont accablé leur chef du gouvernement, ils n’ont bien évidemment rien dit ; quand, lors du remaniement gouvernemental, le groupe familial du chef du gouvernement fit son entrée remarquée, ils n’ont certainement rien dit ; et quand, après avoir condamné les spéculations sur les viandes, on leur a inexplicablement demandé de torpiller la demande de commission d’enquête de l’opposition, ils n’ont rien dit et ont gentiment acquiescé.
Que diront-ils le jour venu, lors de la campagne électorale de 2026, lorsqu’il faudra expliquer aux électeurs pour quelles raisons ils n’ont jamais rien dit sur ce que tout le monde avait pourtant prédit ?
Cette affaire des prix des viandes rouges sera finalement le marqueur de ce gouvernement. La somme en jeu est de 13 milliards de DH, 1,3 milliard de dollars, en versements ou en manque à percevoir pour l’Etat, qui ont été consentis par le gouvernement, pour maîtriser les prix de la viande et permettre un renouvellement du cheptel. Résultat : les prix sont toujours haut et le cheptel toujours bas, avec annulation du rituel de l’aïd à la clé.
C’est grave. Très grave, et la majorité, en refusant cette commission d’enquête, refuse dans le même temps aux Marocains le droit de comprendre ce qui s’est passé et pourquoi ils sont privés de fête du sacrifice. C’est grave et c’est aussi préoccupant quant à la vigueur de nos institutions, de nos contre-pouvoirs, de notre opposition et de sa capacité à peser sur le cours des événements.
C’est d’autant plus grave que le chef du gouvernement, qui s’exprime peu voire jamais, a fait une sortie devant ses troupes, les exhortant à monter au créneau, à engager le fer contre l’opposition qui, selon lui, à travers sa demande de commission d’enquête, fait du « buzz politique » (en cela, il dénote d'une singulière incompréhension du fonctionnement institutionnel, voire même constitutionnel). Est-ce de l’inconscience, de l’inconsistance, de l’insouciance ou de l’arrogance… ou un peu de tout cela à la fois. C’est un peu de tout cela à la fois. Tacler une proposition de commission d’enquête contraignante et la faire remplacer par une mission d’information, ou exploratoire, tout à fait indicative, c’est insulter l’intelligence des gens.
C’est encore plus grave pour les deux autres partis, embarqués dans cette galère de subventions/soupçons de copinage, qui ont accepté de saboter la formation de la commission d’enquête et n’ont pas réussi à infléchir le cours des choses. Le parti de l’Istiqlal, surtout, n’en sort ni grandi ni renforcé, mais exactement l’inverse. La solidarité gouvernementale n’explique pas tout, sauf à considérer un autre intérêt que l’Istiqlal et le PAM devraient le jour venu expliquer aux électeurs qui leur ont accordé leur confiance.
Nous sommes donc confrontés à un gouvernement, à une majorité, où le conflit d’intérêt règne en maitre et où l’éthique et la clarté manquent. Le Maroc a connu tous les types de gouvernement, avec toutes les variantes possibles, politique, technocratique, les deux, Premiers ministres ternes ou subalternes, ministres de qualités diverses, tantôt crédibles tantôt risibles… mais aujourd’hui que nous avons un panier ministériel compétent, le voilà terni par des relents d’affairisme et de clanisme qui le rendent menaçant pour l’opération démocratique dans son ensemble. En effet, en refusant la commission d’enquête, les trois partis ne refusent pas seulement la vérité au peuple, mais protègent de potentiels spéculateurs et de possibles opérations de spéculation dont plusieurs indices mènent à des cadres du RNI. Autrement dit, on couvre le possible spéculateur qui augmente les prix à la consommation, en refusant au consommateur de savoir ce qui se passe. On a vu mieux, en matière de démocratie !
Le parlement refuse clairement de remplir son rôle et l’opposition ne peut faire plus que ce qu’elle fait. Il appartiendra aux deux autres partis de faire la différence, d’apporter leur contribution à cette très pénible opération de moralisation de la vie publique. A quoi leur sert-il de servir les intérêts d’un parti qui, de toutes les façons, les attaquera avec sa férocité légendaire et monétaire dans quelques mois ? Servir le droit et défendre le juste, voilà ce que ces deux formations devraient et auraient de mieux à faire ; le PAM gagnerait une légitimité et l’Istiqlal pourrait conserver la sienne.
La semaine qui commence sera celle du début de la séance de printemps du parlement. Espérons un sursaut de dignité des partis formant la majorité, essentiellement le PAM et l’Istiqlal… un sursaut de dignité, et peut-être même aussi d’intelligence tactique et d’audace politique.
Aziz Boucetta
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