(Billet 1140) – ‘’Gouvernement du Mondial’’ ou plutôt gouvernement ouvert sur le monde ?

(Billet 1140) – ‘’Gouvernement du Mondial’’ ou plutôt gouvernement ouvert sur le monde ?

A l’approche des élections législatives de 2026, les mots s’aiguisent et les couteaux se fourbissent… l’opposition, toujours tétanisée par ses scores de 2021, se réveille lentement de sa torpeur et, après avoir agité de vagues mains fatiguées, la voilà qui se met en ordre de bataille pour en découdre. Au sein de la majorité, l’ambiance est morose et teintée de méfiance mutuelle entre les trois partis qui la composent ; l’ambition générale est de conduire, dès 2026, le « gouvernement du Mondial ».

Pourquoi nos actuels ministres/chefs (ou co-chefs) de partis veulent-ils tant « en être », de ce fameux « gouvernement du Mondial » ? Pour ériger des stades et percer des autoroutes ? Le travail a déjà commencé, le foncier dégagé, les marchés publics attribués, les tâches distribuées, et le financement quasiment bouclé ; le ministre/président Fouzi Lekjaâ, nommé par le roi Mohammed VI à cette fin, est à l’œuvre, avec son efficacité coutumière. Alors pourquoi ? Pour organiser la société marocaine à accueillir cet événement mondial, avec ses millions de visiteurs en un mois ? A la vérité, personne n’en parle, ni n’évoque même le sujet.

Pourquoi donc ? Pour le prestige, pour l’histoire, pour le confort de se mouvoir, avec ses proches et amis si possible, entre les différentes installations, pour se sentir important, pour pouvoir dire « j’y étais ! ». C’est légitime, mais cela reste personnel. D’où la question : « le Maroc a-t-il besoin d’un gouvernement du Mondial pour 2030 ou, plutôt, d’un gouvernement mondialisant dès 2026 ? ».

La question est d’autant plus aigüe et pertinente que l’actuelle équipe entourant Aziz Akhannouch est clouée à Rabat, ne se déplaçant à l’extérieur du pays que pour des réunions multilatérales sectorielles ou continentales. Voir nos ministres à l’étranger participer à des forums de réflexion ou de prospective, y prendre la parole, en comprendre les enjeux et les décliner publiquement est un spectacle dont nous sommes privés ; envisager de regarder notre chef de gouvernement s’envoler vers des aréopages régionaux, s’y engager, expliquer le Maroc et exposer ses grandes politiques (car il y en a) est un souhait pas prêt à se réaliser.

Le gouvernement Akhannouch, comme ses prédécesseurs d’ailleurs, est absent de l’Afrique, notre continent, ce continent dans lequel nous plaçons tant ambitions de développement et de vastes configurations géostratégiques. A quoi sert-il finalement d’annoncer d’immenses projets continentaux (façade atlantique, co-développement avec le Sahel, gazoduc Afrique-Atlantique) s’il ne sont pas accompagnés, soutenus, étayés, renforcés par des passerelles jetées dans d’autres domaines, en parallèle à la réalisation de ces projets ? Un projet économique a de plus grandes chances de se concrétiser et de réussir s’il n’est pas isolé dans un environnement étranger.

Observons nos voisins européens, par exemple… si les responsables (par domaine, par niveau de responsabilité) se rencontrent dans des cadres multilatéraux, les réunions bilatérales ici ou là, entre tel ou tel directeur, ministre, ou autre, demeurent tout aussi importantes, dans les enceintes UE ou dans les capitales concernées.

Le Maroc, pour sa part, est écarté entre deux postures : d’une part proclamer d’immenses ambitions, les structurer et les présenter au monde et, d’autre part, en même temps, rester discret pour les « vendre », c’est-à-dire expliquer leurs buts et leurs moyens, exposer leurs problèmes et leurs contraintes. Il existe là un net décalage entre cette volonté du royaume de s’afficher avec les grands et voir grand mais en même temps ne pas se déployer.

A quoi cela est-il dû ? A l’ « incompétence » de nos ministres ? Non, certainement pas. Alors peut-être à leurs agendas trop chargés ? Non plus. Sans doute donc qu’ils n’ont pas l’autorisation de voyager ? Peu probable, quoique… Quelles que soient la ou les raisons, le résultat est le même, notre gouvernement est désespérément national, local, trivial.

Après avoir longtemps débattu de l’utilité ou non de ministres technos ou politiques, il apparaît aujourd’hui que la technocratie a ses limites. Un gouvernement est un organe politique et doit être peuplé de politiques, surtout dans ce monde actuel où les postures changent, les logiques se transforment, et où des positions nouvelles sont à prendre. Un technocrate n’est pas fait pour cela, mais pour conduire des projets et des programmes précis ; l’administration publique fourmille de ces profils, à différents postes et niveaux de responsabilité. Laissons-les-y prospérer, pour placer d’éminents politiques à la tête des ministères, des grandes villes et, le cas échéant, dans certaines grandes capitales.

Avoir un tel gouvernement « mondialisant », avec des ministres comprenant le Maroc mais aussi l’étranger et capables de lier les deux, devient nécessaire aujourd’hui, dans la nouvelle approche des relations internationales qui se dessine ; des ministres politiques et de hauts responsables formés, et dans les deux cas « libres » d’y aller, de dire, de porter haut la voix du Maroc comme élément important du Nouveau Sud. Et en ayant ce type de ministres, nous aurons aussi et dans le même temps ce fameux … « gouvernement du Mondial ».

Aziz Boucetta

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