(Billet 1004)– L’avortement interdit, c’est aussi l’inégalité entre femmes riches et pauvres
Le 8 mars est passé, et c’était la journée internationale pour revisiter, évaluer et possiblement faire évoluer les droits des femmes. Comme chaque année, on en parle, et comme chaque année, après le 8 mars, arrive le 9, puis le 10, et ces droits retrouvent leur habituelle grisaille des inégalités de genre, dans l’indifférence quasi générale. Et on parle encore moins, au Maroc, des inégalités entre femmes, ainsi que le veut et le fait l’interdiction de l’avortement au Maroc.
Le code pénal marocain interdit l’avortement et l’encadre sous tous ses aspects et toutes ses facettes. Et même l’article 453, qui autorise cet acte, exige l’accord du conjoint et, à défaut, d’un médecin de la santé publique, ce qui équivaut à avoir un conjoint et qu’il soit d’accord ; dans le cas contraire, il faudra que la décision soit prise par un praticien du public qui, non concerné, montrera la plus grande réticence à accorder quelque chose qui fait tant débat. Donc la femme accouche, le bébé arrive et avec lui, les problèmes.
Et dans le cas où il n’y a pas de conjoint ? C’est là que le problème se pose et que la santé de la mère est menacée, sérieusement menacée. Cette pauvre femme aura une triple peine, car elle pourra être d’abord poursuivie pour fornication illégale (comme si l’amour charnel pouvait sérieusement et efficacement être réglementé), ensuite devra quand même accoucher dans des conditions effroyables, et enfin passera toute sa vie sous le regard accusateur et impitoyable de la société. Autant dire que la santé, mentale et physique, d’une femme enceinte hors des liens très sacrés du mariage est menacée, ainsi que le disent l’OMS et toute autre personne sensée.
Or, c’est précisément ce que prévoit l’article 453, l’avortement en cas de menace sur la santé de la mère. Et c’est que s’insinue l’inégalité entre les femmes mêmes, entre les pauvres, les très pauvres, les riches et les très riches. Les femmes des deux premières catégories, effrayées par cet enfant qui arrive et terrifiées par les conséquences que cela aura sur leurs vies, se feront avorter, selon leurs moyens, dans un établi/garage avec des instruments archaïques, par un individu douteux, dans des conditions abominables (photo) ; les dames de la seconde catégorie iront dans un cabinet médical local, paieront le prix fort de l’illégalité et du risque ou iront dans les meilleures conditions vers un des pays voisins du Maroc qui permet l’avortement (en Europe ou en Turquie).
Ainsi, pour le même acte d’amour, effectué sans contraception, deux femmes marocaines, ayant en principe les mêmes droits, seront traitées différemment, en fonction de leur degré d'opulence et de pouvoir d'achat. Et ce traitement différent mettra en grand danger la vie de toutes celles qui interrompront volontairement leurs grossesses. Que faire ? Plusieurs solutions… Changer la loi, vivre chastement, utiliser des contraceptifs, avoir recours à la pilule dite du lendemain, ou encore à la pilule abortive.
Depuis que même les instructions royales n’ont pas trouvé leur chemin dans les méandres parlementaires, il n’y a rien à attendre des institutions. En effet, en 2015, le roi avait enjoint gouvernement et parlement à faire évoluer la législation sur l’interruption de grossesse dans certains cas particuliers. Le gouvernement Benkirane avait mollement initié la réforme, le gouvernement Elotmani s’était volontairement laisser engluer dans les lourdeurs parlementaires et le gouvernement Akhannouch regarde ailleurs, pas ou peu concerné par ce qui n’est pas lucratif ; les trois gouvernements voulaient insérer cette réforme dans la refonte, plus globale, du code pénal. Dans l’intervalle, le drame se poursuit.
Vivre chastement n’est ni une solution ni une possibilité, l’espèce humaine étant ce qu’elle est et l’attraction des sexes aussi. Les hommes sont attirés par les femmes et les femmes aiment les hommes, et aucune réglementation, spirituelle ou temporelle, n’ y pourra rien !
Il reste donc à s’atteler à la solution appelée par tout le monde, en l’occurrence l’éducation à la sexualité, ou éducation sexuelle, et une très large communication autour des méthodes contraceptives masculines et féminines. Mais nos institutions s’y refusent, en raison de notre hchouma nationale. Et pourtant, c’est la seule solution pour limiter l’hécatombe, les drames personnels et les vies gâchées par des lois faites et appliquées par des individus à la sexualité normale (parfois même active, si on examine le pedigree de certains de ces responsables) qui interdisent la sexualité à des gens normaux.
Il s’agit d’une simple décision gouvernementale, pour multiplier les actions de sensibilisation (on peut parler de maladies), les campagnes de communication, les distributeurs de préservatifs dans les universités, les messages subliminaux dans les publicités ou films… Distribuer des préservatifs est certainement meilleur que distribuer des années de prison et sensibiliser des jeunes est également mieux que de déshumaniser des futurs citoyens qui n‘ont pas demandé à naître.
Mais maintenir les choses en l’état ferait de nos gouvernants des irresponsables qui, par leurs lois et leur pusillanimité, placent nos jeunes devant le dilemme suivant : chasteté avant le mariage, dont l’âge recule sans cesse, ou délinquance, sachant que, encore une fois, l’inégalité est flagrante entre femmes nanties et femmes démunies.
Le gouvernement et le parlement pourraient-ils faire acte d’humanité en se préoccupant des sorts de toutes ces femmes ? On peut en douter, mais on peut aussi espérer.
Aziz Boucetta
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