(Billet 1019) – La réforme de la famille remet Abdelilah Benkirane en scène puis en selle

(Billet 1019) – La réforme de la famille remet Abdelilah Benkirane en scène puis en selle

Le 30 mars dernier, le chef du gouvernement Aziz Akhannouch, en sa qualité de mandaté par le roi pour constituer une instance chargée de la réforme du code de la famille, a reçu le rapport tant attendu. Six mois après avoir reçu la lettre royale et dans le respect du délai fixé dans cette lettre. Mais le contenu des recommandations demeure confidentiel, dans l’attente que le souverain se prononce pour que la réforme soit soumise au parlement. L’affaire est sociétale et donc éminemment politique ; elle place Abdelilah Benkirane en embuscade.

Immédiatement après la remise de leurs conclusions par les membres de l’instance à M. Akhannouch, les fuites ont commencé, les fameuses « tasribate ». En réalité, personne ne sait exactement de quoi sont faites les recommandations apportées par l’instance, mais chacun affûte ses armes : le camp progressiste a fait circuler des rumeurs sur une réforme résolument avant-gardiste où les femmes n’auront certes pas tous les droits ou le droit à l’égalité pure et parfaite, mais où elles auront quand même bien plus de droits qu’elles n’en ont ou n’en peuvent rêver aujourd’hui. De leur côté, les conservateurs ne décolèrent pas, menaçant des feux de la géhenne toute personne qui voudrait changer le corpus actuel, d’essence quasiment sacrée, à les en croire ; la femme n’est pas l’égale de l’homme, et elle ne saurait l’être. Jamais.

Un débat parallèle est donc né, fondé sur des spéculations et autres supputations, avant un viril rappel à l’ordre des autorités, avisant les concernés que discuter et disputer autour de ce qui n’est que des rumeurs est illégal. Retour au calme dans les réseaux, donc, mais pas dans les chaumières. Les gens attendent car tout le monde est concerné. Mais ce même tout le monde, tout en restant attaché à ses pratiques et convictions religieuses, aspire à vivre dans son temps.

Ceux qui, par exemple, défendent la polygamie ne seraient pas transportés de joie si elle s’appliquait à leurs filles, de même que pour l’héritage où un nombre croissant de personnes, de pieux pères et de saintes mères, rééquilibrent le futur legs familial en faveur de leurs progénitures féminines. A l’inverse, on peut trouver dans les rangs des plus « modernistes » des pratiques religieuses qui n’ont rien à envier aux conservateurs. Certains qualifient cela de schizophrénie, nous l’appellerons la dualité des Marocains, pris en étau entre ce qu’ils veulent et ce qu’ils peuvent, entre ce en quoi ils croient et ceux qu’ils aiment et qu’ils ne voudraient pas voir lésés.

Le problème, encore une fois, est que la problématique, étant sociétale, est donc très largement politique. Or, dans le royaume, la société se meut entre son atavisme obligé et son nécessaire progressisme, et la politique, en toute simplicité, se meurt. Cela est, sans ironie, du pain bénit pour Abdelilah Benkirane et son PJD, avec en prime et en renfort les différents prédicateurs, illuminés et éblouis par eux-mêmes et par l’étendue de leur savoir supposé.

Il est indéniable que la société marocaine est conservatrice, ainsi que le démontrent tous les chiffres, sondages et enquêtes d’opinion. Il n’y en a pas beaucoup mais ceux qui ont été réalisés montrent que la population reste très attachée à sa tradition et aux prescriptions religieuses. Le débat actuel alimente donc le débat public mais scinde la société qui trouvera refuge dans le camp conservateur, étant entendu que les deux partis qui mènent l’actuelle coalition avec le conservateur Istiqlal, sont le PAM et le RNI, peu audibles dans le Maroc profond.

Tout cela acte le retour en force d’Abdelilah Benkirane qui a été jusqu’à comparer les défenseurs de l’évolution juridique des questions familiales de parti du Diable. Oui, le parti du Diable, rien que ça ! M. Benkirane sait surfer sur la vague conservatrice, s’en prend à quiconque ne pense pas comme lui, brandit son bâton de grand excommunicateur, sachant pertinemment que ce discours porte. Il faut dire qu’il a un certain talent pour grossir les traits des défauts des sociétés occidentales qui, il est vrai, en ont trop fait avec le mariage gay et l’adoption d’enfants par des couples homosexuels. Puis, très habilement, Ssi Benkirane illustre les positions modernistes en se référant très généreusement à la France, son histoire et sa société ; il sait pertinemment que l’actuel climat de franche islamophobie régnant dans l’Hexagone mobilisera ses ouailles contre les progressistes marocains.

Or, si dans cette affaire, sur le plan politique, l’Istiqlal est l’allié objectif du PJD, que le PAM avec sa direction à trois têtes ne s’exprime qu’avec ses deux têtes gouvernementales, le RNI, chef de la majorité, brille par son silence et son manque d’idées et cède ainsi le terrain aux conservateurs, une situation très habilement mise à profit par la mouvance conservatrice.

M. Benkirane, en véritable « animal politique », a vite compris avec cette affaire de révision de la Moudawana était la chose et la cause qui allait permettre à son parti de revenir au-devant de la scène politique, et de régler quelques comptes au passage. Il ne se prive pas de ce plaisir, quitte à sacrifier la gloire, sa gloire de 2011 et 2016. Ne dit-on pas qu’à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire ?... Mais Abdelilah Benkirane n’a que faire de la gloire si tant est que celle de Dieu demeure acquise et la sienne possiblement reconquise.

Aziz Boucetta

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