(Billet 1067) – Hakim Ziyech, la liberté d'expression et le Maroc
Globalement, la liberté d’expression consiste à dire ce qu’on veut, après avoir pensé comme on veut, dans le cadre de certaines limites, légales et éthiques, parfois sociales. Comme le veut l’adage, toute vérité n’est pas bonne à dire, et parfois, elle est clairement déplacée. Venons-en maintenant à notre Hakim Ziyech national ; qu’a donc dit le joueur de foot ? Il a exprimé une opinion, certes virile, sur Israël et ceux qui le soutiennent ; C’est tout ? c’est tout. Or, dans « exprimé une opinion », il y a « exprimer » et « opinion », ça devrait suffire pour clore le débat, si on est démocrate.
Pourquoi donc penser que l’avenir de M. Ziyech en sélection nationale, et même à sa tête, serait compromis ? Il faut vraiment être Marocain pour comprendre que ce jeune homme a mis en danger sa carrière parce qu’il a pris une position qui est aussi celle de la grande majorité des Marocains, et même des citoyens du monde. Et si l’on comprend bien, si M. Ziyech est sanctionné ou même simplement tancé, alors cela signifierait qu’aucun chanteur ne pourrait parler autre chose que de chant et de musique, qu’un ingénieur ne devrait se préoccuper de rien d’autre que de ses objets ‘ingéniérés’, qu’un sportif ne pourrait commenter rien d’autre que sa discipline, qu’un économiste serait interdit de causer politique et qu’un politique d’économie… Une sorte de kafkaïsme soviétisé, ce qui n’est pas le cas du Maroc, du moins aimerait-on le penser.
On ne demande pas à un joueur de foot de dérouler de grandes analyses géopolitiques, il n’en a pas la formation et ce n’est pas son métier, de la même manière que quand un géopolitologue s’exprime sur le foot ou pratique ce sport, il ne pourrait le faire avec le même bonheur qu’un professionnel. Alors pourquoi tolère-t-on qu’un non spécialiste de foot parle foot mais on veut empêcher un profane en relations internationales de s’exprimer sur le sujet ?… un sujet dont le monde entier parle, avec horreur et colère, avec passion et révulsion pour les actes commis et leurs auteurs.
Hakim Ziyech ne faisait-il donc pas partie de cette équipe vedette qui, à Qatar, avait posé, souriante, devant un drapeau palestinien, alors même que le carnage de Gaza n’avait pas encore commencé ? Rares étaient alors les bienpensants qui avaient tempêté sur la chose, ni même sourcillé. Bien des gens de chez nous en étaient même fiers !...
Les sportifs ont leur mot à dire, et on ne peut les en priver, et c’est le cas depuis des décennies et partout dans le monde : Depuis l’iconique Mohammed Ali jusqu’à Karim Benzema, en passant par Tommie Smith et John Carlos (les athlètes au poing levé lors des JO de 1968), Lebron James ou Michael Jordan. Et de quel droit au demeurant les empêcherait-on d’avoir une tête qui réfléchit et une bouche qui s’exprime ?
Cela étant, on peut également comprendre ceux qui se sont offusqués de la sortie de M. Ziyech, très inquiets qu’ils sont quant aux conséquences de cette position prise par le jeune homme. La préoccupation est légitime, mais qu’a dit Ziyech d’autre ou contraire à ce que pense une grande partie de l’opinion publique marocaine ? Il a clamé tout haut ce que bien du monde, pour ne pas dire presque tout le monde, hurle tout bas contre ce pourquoi tous enragent très fort, même à bas bruit. Etat, gouvernement, institutions, société, tout le monde !
Et puis, dans cette affaire, M. Ziyech s’est trompé, car dans le cas du carnage commis à Gaza et de celui qui commence au Liban, le gouvernement marocain ne soutient pas Israël ni son génocide, mais le condamne, agit en coulisses, maintient le dialogue avec les deux parties au conflit. Un Etat ne fonctionne pas comme un humain, il ne cède pas à la colère, ou du moins ne devrait-il pas le faire. Les intérêts d’une nation, d’un Etat, sont gérés de manière différente, car les enjeux ne sont pas les mêmes, le temps n’est pas le même, les acteurs et leurs comportements ne sont pas les mêmes, et les informations dont dispose un Etat sont différents de ceux d’un individu ou même d’un groupe d’individus.
Hakim Ziyech a donc exprimé un avis, le sien. Mais il n’est pas mauvais garçon ; il a retiré son tweet, car « on » a dû le lui demander. Pourquoi l’aurait-on demandé ? Parce que Ziyech est un leader d’opinion, qu’il est influenceur et que ses phrases et ses idées portent. Mais les Marocains ont déjà, et à plusieurs reprises, exprimé leur rejet de la politique israélienne et la prise de position du jeune footballeur, loin d’embraser la rue marocaine comme « on » aurait pu le penser, n’aura fait que s’additionner à l’opinion générale.
Alors, en un mot comme en cent, Ziyech n’aurait pas dû être assailli de tous les côtés, par les bravos de ceux qui pensent comme lui et par les critiques des bienpensants, un peu censeurs aux entournures. Si on est démocrate et qu’on croit à la liberté d’opinion et d’expression, alors il faut laisser M. Ziyech et d’autres sportifs exposer leurs idées, si tant est qu’elles ne soient pas illégales.
Or, dans cette affaire, c’est la sauvage et animale agression israélienne qui est criminelle, pas le tweet d’un jeune homme profondément indigné, qui reflète les pensées de ses compatriotes et celles de son gouvernement et de son Etat.
Aziz Boucetta
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