(Billet 1116) - Gouvernement Akhannouch II, 100 jours, sans éclat...
La règle des 100 jours doit son nom à cette période de l’histoire de France marquant le retour de Napoléon de l’île d’Elbe et la fuite de Louis XVIII, pour une reprise du pouvoir qui devait être durable mais qui n’a pas dépassé les cent jours, s’achevant net avec Waterloo. Depuis, il est devenu traditionnel d’examiner l’action d’un Exécutif en 100 jours. Et le gouvernement Akhannouch II a précisément 100 jours, l’heure de faire un bilan d’étape.
Ce qui devrait inquiéter M. Akhannouch est que cette phase des 100 jours est passée complètement inaperçue. Personne ou presque n’a relevé la fin de la période, et cela en soi est un désaveu. « Qu'on parle de moi en bien ou en mal, peu importe. L'essentiel, c’est qu’on parle de moi », disait quelqu’un ; cela ne s’est pas fait et cela est un signe. Cette période est celle où, selon ce qui est devenu une tradition quasi universelle, un gouvernement doit lancer une politique nouvelle, avec des personnels nouveaux et des idées nouvelles, pour un renouveau général du pays ou de sa société ; c’est la période d’observation de l’action du nouvel Exécutif, mais aussi une période d’indulgence et de patience, laissant le temps aux nouveaux venus de faire ce qu’ils pensent bon de faire : initier des transformations profondes, pour impulser une nouvelle dynamique dans la politique du pays.
Le 23 octobre dernier, après plusieurs mois de rumeurs persistantes, souvent insistantes mais toujours évanescentes, un remaniement gouvernemental avait finalement eu lieu. Huit ministres pleins et délégués partent alors et sont remplacés par huit autres responsables, dans le respect de l’équilibre numérique des trois partis formant la majorité, et six secrétaires d’Etat font leur entrée au gouvernement, toujours en veillant à l’égalité numérique de départ.
Des départements importants sont concernés par ce remaniement, comme l’Agriculture, la Santé et l’Education nationale… trois ministères au centre de problématiques nationales profondes : l’agriculture doit être repensée dans cette nouvelle réalité hydrique de la 7ème année consécutive de sécheresse ; pour la santé, le basculement vers le nouvel objectif de la protection universelle peine à prendre forme, tout le monde donnant des chiffres contradictoires ; et, enfin, à l’Education nationale, l’ancien ministre Chakib Benmoussa et ses équipes avaient mis au point le programme des écoles pionnières, dont le Maroc attendait (et attend toujours) beaucoup.
A l’époque, en octobre dernier, les commentaires se concentraient sur les profils retenus pour ces trois éminentes fonctions et tout le monde constatait la proximité du chef du gouvernement Aziz Akhannouch avec les trois personnages… un ancien cadre d’Akwa, un ancien actionnaire du groupe familial Akhannouch et un cadre du ministère de l’Agriculture, dirigé 14 années durant par l’actuel chef du gouvernement. Cela n’est pas un mal, un responsable étant en situation confortable avec des gens qu’il connaît et avec lesquels il sait travailler. M. Akhannouch aurait quand même pu à l’époque clarifier ses choix et ses ambitions, présenter la raison de la sélection de ces profils plutôt que d’autres, expliquer le départ de certains ministres (comme Mohsine Jazouli par exemple). Il ne l’a pas fait.
Aujourd’hui, 100 jours sont passés et l’heure du bilan des Cent-jours a sonné. Qu’ont donc apporté de nouveau, d’inédit, de spectaculaire voire même de révolutionnaire ces ministres ? L’agriculture est toujours sinistrée, et certains parlent même, cette année encore, d’annulation du sacrifice du mouton, quand l’heure sera venue. Pour la santé, la maladie du secteur avance, et même le très calme Fouzi Lekjaâ s’est énervé contre les prix des médicaments, les gens désireux de faire une Omra chaâbanesque resteront au pays, faute de vaccins anti-méningite disponibles, et l’AMO/Protection universelle tangue et vacille, gravement. Enfin, à la question de savoir où en sont exactement les écoles pionnières, seul Chakib Benmoussa pourrait répondre, lui le concepteur de l’idée et du Nouveau modèle de développement, mais seulement voilà, il n’est plus ministre…
Pire encore, ces nouveaux ministres, en plus d’être totalement inaudibles et plus ou moins invisibles, étaient et demeurent, trois mois après, inconnus du grand public, dont ils gèrent pourtant le secteur agricole, l’éducation des progénitures et la bonne santé et l’assurance contre la maladie. Et il en va de même pour les autres promus au gouvernement, ministres, pleins ou délégués, et secrétaires d’Etat.
La question est de savoir en quoi, pourquoi et comment le cabinet Akhannouch II diffère-t-il du I, et quelle valeur ajoutée apporte-t-il au Maroc, par rapport au premier gouvernement. Ce qui s’est passé le 23 octobre n’est pas un simple remaniement technique, pas plus d’ailleurs qu’il n’est politique puisque les trois partis formant la majorité la forment toujours, seuls. Mais le nombre de partants et d’arrivants, ainsi que la nature de leurs départements, établissent que ce jour-là, au palais royal, le roi Mohammed VI a nommé un nouveau gouvernement avec le même chef, puisque tous les ministres, y compris M. Akhannouch, ont été reçus et annoncés en leurs fonctions.
On aurait donc pu attendre des explications du chef du gouvernement, une déclaration de la politique générale du nouvel Exécutif, une présentation des nouveaux objectifs ou de nouvelles politiques publiques… M. Akhannouch a décidé de ne rien dire, de procéder à un remaniement dont les causes profondes restent inconnues, et de poursuivre sa politique sans communication, en dépit d’une équipe de communication qui fait ce qu’elle peut. Alors que les problèmes s’aggravent… l’inflation est tenace et devient (é)norme, le chômage s’incruste et s’installe, la classe moyenne perd de plus en plus ses moyens et sa confiance, et les agriculteurs s’en remettent à Dieu …
Cent jours après son installation, le gouvernement se retrouve à un an et demi des élections, et déjà les esprits s’échauffent et les uns et les autres fourbissent leurs armes. La majorité se fissure, avec Nizar Baraka qui critique la politique en matière d’emploi, les dirigeants du PAM qui parlent déjà du « gouvernement du Mondial », allusion au futur gouvernement, qu’ils se verraient bien diriger. Et une grève générale est observée, à l’appel de syndicats qui ne pèsent pas bien lourd mais qui essaient de se faire entendre ; et une grève générale, même réussie (ce qui est loin d'être le cas avec l'actuelle), ce n’est jamais bon pour attirer l’investissement étranger.
Avec le gouvernement Akhannouch II, les Cent-jours n’indiquent pas la fin d’une période de lancement de nouvelles politiques, mais le point de départ de la campagne électorale. M. Akhannouch s’y verrait bien, M. Bensaïd et Mme Mansouri s’y verraient bien, M. Baraka s’y verrait bien, et d’autres encore s’y verraient bien. Quant à la population, elle ne voit rien.
Aziz Boucetta
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