(Billet 1120) – La corruption gagne du terrain... gagne tout court !

(Billet 1120) – La corruption gagne du terrain... gagne tout court !

On le savait vaguement, on le craignait même un petit peu, mais le gouvernement l’a fait, et confirmé ! La corruption se porte désormais très bien dans notre pays et, comme disait l’ancien chef du gouvernement Abdelilah Benkirane, « c’est elle qui lutte contre nous ». Aurait-elle gagné ? Aurait-elle remporté, la corruption, la bataille contre ses très permissifs adversaires au gouvernement et au parlement ? Cela en a tout l’air, avec le dernier rapport de Transparency Maroc.

Le royaume donc, en matière de corruption, se situe en 2024 à la 99ème place sur un total de 183 pays, en recul par rapport à 2023, et en grand recul depuis 2018, quand nous occupions la 73ème place du classement (piteux rang, mais on se contente de peu…). Et c’est normal, car qui a déjà entendu ce gouvernement se préoccuper sérieusement de la corruption, et qui a entendu le chef du gouvernement en parler de manière convaincante ?

En 2015, le Maroc était 90ème mondial et le gouvernement d’alors avait construit une stratégie nationale de lutte contre la corruption… et, dix ans après, aujourd’hui, nous sommes 99ème ! Dans l’intervalle, ce sont 50 milliards de DH de perdus chaque année, correspondant au coût annuel de la corruption, selon Bachir Rachdi, président de l’Instance de lutte contre la corruption ; et 50 milliards par an, cela fait 500 milliards de DH, 50 milliards de $ ! Si ce n’est pas du gâchis…

Une fois n’est pas coutume, la publication d’un graphique, ci-dessous, pour mieux illustrer la gravité de la situation... Il montre l’évolution de l’Indice de perception de la corruption (IPC) au Maroc de 2012 à 2024*, qui ne concerne que le secteur public, occultant les larges pratiques en la matière dans le privé. Libre à chacun de penser ce qu’il souhaite du gouvernement Benkirane et de son chef, mais force est de constater que la lutte contre la corruption dont il avait fait un slogan de campagne était plus efficace ; la chute a commencé en 2018, quand Saadeddine Elotmani était chef de gouvernement mais, souvenons-nous bien, l’était-il vraiment ?...

Aujourd’hui donc, et alors que l’IPC au Maroc emprunte une trajectoire plongeante vers des futurs inconnus en matière d’éthique générale dans le pays, société et Etat, le ministre porte-parole du gouvernement Mustapha Baitas vient récemment soliloquer sur la corruption et ose ceci : « 76% des objectifs fixés par la Stratégie nationale de lutte contre la corruption ont été réalisés ». Déni, irresponsabilité ou inconscience, à moins que ce ne soit simplement l’arrogance d’un parti faussement dominateur ? Face à l’ampleur du phénomène, l’insouciance ou l’indifférence du gouvernement est presque aussi préoccupante que la corruption elle-même !

Plusieurs faits confirment l’expansion de la pratique de corruption et donc, en miroir, la totale incurie du gouvernement :

1/ En présentant son budget en fin d’année dernière, Bachir Rachdi est bousculé par le ministre du Budget Fouzi Lekjaâ qui remet colériquement en cause son évaluation du coût de la corruption, pendant que le groupe RNI se retire des débats, refusant d’écouter cet homme venu du privé et nommé par le roi… et M. Akhannouch décide en fin de compte de tailler dans son budget, à hauteur de 22% ;

2/ La loi sur l’enrichissement illicite est toujours au point mort et le ministre de la Justice, qui a réponse à tout, avec le bagout en prime, explique que les associations ne peuvent ester contre un responsable indélicat car elles sont elles-mêmes peu ou pas claires…

3/ Ecœurés, les gens de Transparency Maroc décident de se retirer de la commission nationale anti-corruption, dans un communiqué virulent et très préoccupant, regrettant entre autres « les restrictions et affaiblissements des institutions constitutionnelles de contrôle, de probité et de bonne gouvernance, par l’ignorance ou la contestation de leurs rapports, [qui ]suscitent de vives inquiétudes » ;

4/ Les conflits d’intérêt qui se multiplient et s’accumulent… Soupçons argumentés et restés sans réponse sur l’attribution et les subventions de la station de dessalement de Casablanca, décision on ne peut plus officielle du Conseil de la concurrence sur les ententes entre compagnies d’hydrocarbures, et rapports récurrents du Conseil sur la persistance de ces pratiques qui tirent les prix vers le haut ;

5/ Forts soupçons sur des formes de clientélisme dans les opérations d’import de viandes rouges ;

6/ Forts soupçons sur les véritables raisons du maintien de la raffinerie la Samir fermée, malgré les nombreuses mises en garde, études et interpellations d’économistes réputés, comme Mohammed Benmoussa ; le tout, bien évidemment, sans réponse…

7/ Profondes interrogations, restées là aussi sans réponse, sur le budget de 125 milliards de DH dépensé entre 2012 et 2022 par l’Agence Nationale pour le Développement des Zones Oasiennes et de l'Arganier (ANDZOA), et sur les accusations à peine feutrées du secrétaire général de l’UMT sur l’affaire de l’achat des hôpitaux publics ;

La liste n’est pas exhaustive, loin s’en faut, mais notons le nombre effarant d’élus en délicatesse avec la justice. Au parlement, ils sont une quarantaine à être en prison, en procès, en fuite ou en attente de tout cela, et les choses sont allées si mal que le RNI (celui-là même dont le groupe a refusé d’écouter Bachir Rachdi) l’avait bombardé secrétaire du Bureau de la Chambre des représentants ; les élus locaux ne sont pas mieux lotis. A Casablanca, les présidents des deux clubs de foot, prestigieux, historiques et même mythiques, sont en prison ou en fuite.

Ce gouvernement RNI, puissant par sa très forte majorité, riche de ses compétences, prometteur avec ses grands projets, est pourtant et simplement le pire que le Maroc ait eu depuis des décennies en matière de lutte contre la corruption. Entre déni du phénomène, indifférence face aux réalités, insouciance quant aux dangers et arrogance à travers des chiffres qui ne signifient rien, la corruption a encore de beaux jours devant elle. Ce gouvernement n’est pas seulement laxiste en matière de lutte contre la corruption, mais il grève les efforts et actions à venir du gouvernement à venir en 2026, et dont la tâche sera d’autant compliquée car la corruption au Maroc est de plus en plus en col blanc, plus difficile à combattre car elle est consubstantielle du système…

Et dire que le monde nous observera avec attention, nous scrutera  dans le détail dans quelques années, à l’approche du Mondial. Pire encore, les jeunes générations qui observent et scrutent déjà, s’en vont…

Aziz Boucetta

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*IPC : Indice composite, une combinaison de 13 enquêtes et évaluations de la corruption, rassemblées par une variété d’institutions réputées. Cet indice, produit par Transparency, ne concerne que le secteur public.

 

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