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(Billet 1121) – L’Europe, le continent le plus bête du monde
Trois grands ensembles se disputent et œuvrent à se partager le monde, Chine, Etats-Unis et Europe ! Ces trois blocs sont des puissances géopolitiques mais, si cela est exact pour les deux premiers, le troisième tangue, vacille, penche et risque la chute finale. Secoué par Moscou, malmené par Pékin, le voilà aujourd’hui gravement humilié et même menacé par… Washington, Donald Trump et son âme damnée Elon Musk. Qu’arrive-t-il donc à ce continent qui a donné au monde la philosophie grecque, le droit romain, la révolution industrielle, les Lumières, et qui se fait aujourd’hui vertement tancer par un promoteur immobilier véreux devenu président ?
Ce qui arrive aux Européens aujourd’hui est cet abandon d’ancrage sur l’histoire du continent, qui leur avait permis de passer d’une étape à une autre, d’un mode de société à un autre, avec succès. Pour eux… car pour les autres continents qui avaient eu affaire aux Européens, c’était les massacres, les humiliations, les pillages, la domination. Mais l’Europe, si on considère les choses du seul angle européen, s’en sortait, s’enrichissait et pesait sur les affaires et la marche du monde.
L’Europe a donné au monde bien des génies : Leonard de Vinci ou Marie Curie, Marx ou Montesquieu, Mozart et Maître Eckhart, Vivaldi et Richelieu, Einstein ou Pierre le Grand, Nobel et Olympe de Gouges… mais aussi les guerres coloniales puis mondiales, de religion ou simplement la Guerre froide. Un continent capable du meilleur et du pire, alternant entre les deux avec une fortune diverse.
Et cela s’est ainsi poursuivi, avec ses hauts et ses bas, ses conflits et ses combats, des siècles durant… jusqu’à ce que la Réalité surgisse. Et elle porte pour nom… Donald Trump. Il aura fallu de deux ou trois papiers signés et de quelques embardées verbales du président-pas-comme-les-autres pour que l’Europe tombe dans la sidération, soit saisie par le doute, s’affole et panique, prenant soudainement la mesure de son extrême faiblesse.
Mais cette « Réalité » s’est accompagnée de certaines vérités ; Marc Bloch disait avec une certaine provocation que « sans se pencher sur le présent, il est impossible de comprendre le passé ». L’Histoire rattrape en effet le présent et le secoue, le bouleverse, le questionne et s’y impose. L’Asie, par exemple, et avec elle l’Afrique, se rappellent de leurs siècles d’humiliation et demandent des comptes, puis exigent l’égalité face au droit international. Cette fois, aujourd’hui, l’Europe n’est plus seule, la Russie n’est plus cantonnée dans son froid sibérien mais aspire à succéder en influence à la défunte URSS, la Chine émerge, accélère, dépasse l’Europe et concurrence l’Amérique. Les pays ci-devant du Tiers-monde veulent conquérir le monde, ou au moins y compter et ne plus en être les victimes.
Tétanisée, effrayée, en proie au doute, l’Europe a le réflexe primaire de s’enfermer, puis de se renfermer sur elle-même, vivant dans son mirage et entretenant sa propre légende, aujourd’hui dépassée, de grandeur et de valeurs, d’expansion et de domination. L’ancien haut-représentant européen aux Affaires étrangères Josep Borrell n’avait-il pas dit que « l’Europe est un jardin. Le reste du monde n’est pas exactement un jardin. La plus grande partie du reste du monde est une jungle, et la jungle pourrait envahir le jardin » ! Et au début de son premier mandat, Ursula Von Der Leyen n’avait-elle pas envisagé de créer un portefeuille chargé de « la protection de notre mode de vie européen », avant de se rétracter ?...
Au lieu d’envisager le monde en ce qu’il est devenu, les Européens se sont retranchés dans le rejet de l’autre, dans une sorte de manichéisme érigeant les uns en amis et les autres, tous les autres, en proies potentielles ou en compétiteurs funestes. Et dans un extrémisme nationaliste – ou nationalisme extrémiste – qui stigmatise, ostracise, divise. De fait, l’Europe est devenue un continent éclaté entre pays pauvres et pays riches, grands pays de l’ouest et petites nations de l’est, Europe du Nord et Europe du Sud, entre chrétiens et musulmans, entre antisémites et inconditionnels d’Israël (les Européens d’aujourd’hui ne se remettent ni ne se consolent de l’Holocauste commis par leurs aïeux dans les sinistres mutisme et indifférence de leurs autres aïeux), et entre pays trumpistes et pays trompés.
Puis, depuis 1945 et poussés par les Américains, les Européens ont considéré le Russe comme ennemi existentiel. C’était peut-être vrai avec l’URSS, mais pas avec la Russie, du temps d’Eltsine et même de celui de Poutine. Les Européens ont un credo : ils veulent prendre et quand celui auquel ils veulent prendre refuse ou résiste, ils le voient en ennemi. Cela est aussi valable pour la Russie que pour la Turquie, pour le Maroc que pour d’autres pays plus éloignés. L’Europe a un don certain de se faire des ennemis ou, au moins, de savoir être ni aimée ni respectée.
Et puis, ce n’est que maintenant que l’Europe comprend que son véritable ennemi existentiel est en réalité l’Amérique, et Trump aura eu le mérite de clarifier les choses. Car de Nixon à Obama, il n’y a jamais eu d’entente vraie entre Amérique et Europe, en dehors de la nécessaire soumission de la seconde à la première et l’éternelle domination de la première sur la seconde. Les Américains sont le fruit d’un melting-pot dont les origines sont formés d’Européens ayant fui leur continent, pour leurs idées, pour leurs confessions, pour leur misère ou pour leurs crimes… des Américains, anciens Européens, qui ont historiquement et sociologiquement conservé un lourd ressentiment à l’égard de leur ancien continent.
Aujourd’hui, Chine et Amérique forment et performent, et l’Europe s’évertue à multiplier les normes. Le Vieux Continent est passé maître dans l’art de fabriquer des ingénieurs, des scientifiques, des génies en affaires… qu’il exporte systématiquement, qu’il offre aux deux autres blocs. Et ce géant en papier s’écroule presque, s’effondre quasiment à l’arrivée de Trump. Celui-ci, après que son pays ait pressurisé les pays européens en les forçant à acheter ses armements et à significativement augmenter le budget d’achat de ces équipements, contacte directement Poutine, s’apprête à dealer avec lui, détruit tous les engagements de l’UE à l’égard de l’Ukraine, sacrifie ce pays et… plonge l’Europe dans un océan de perdition et de division, en en faisant l’antre de l’extrême-droite, de plus en plus fascisante avec l’arrivée tonitruante et décomplexée du duo Trump/Musk dans le Bureau Ovale. Avec Biden, Obama et Bush, c’était pareil, en plus feutré, en plus souriant, mais avec Trump, c’est plus violent, et comme le dit avec élégance son vice-président Vance, « il y a un nouveau shérif en ville » !
Il appartient désormais au Vieux Continent de rajeunir et d’actualiser ses doctrines géopolitiques. D’abord, s’il y a un ennemi existentiel, ce n’est pas la Russie, mais l’Amérique ; ensuite, la Russie est le prolongement naturel et géographique de l’Europe, contrairement aux théories de containment de Zbigniew Brzezinski, et la Chine, qui n’a jamais été une puissance conquérante et agressive, est un partenaire économique plus qu’elle n’est un prédateur à l’image du Yankee ; et, enfin, l’étranger proche européen, en l’occurrence la Turquie et le Maghreb, essentiellement le Maroc, sont une voie de développement de l’Europe et non une menace comme il est actuellement encore perçu.
L’Europe a baissé en intensité intellectuelle quand elle s’est enrichie. Contrairement aux Américains qui soumettent leur richesse à leur puissance, sans états d’âme, les Européens ont renoncé à leurs valeurs pour se mettre au service du capitalisme triomphant. Puissance en grandeur et en valeurs pendant quelques décennies, la voilà aujourd’hui placée sous la coupe d’une poignée de milliardaires et de faiseurs d’opinion soumis à l’influence américaine. Ayant perdu toute influence à l’égard de Washington et tout pouvoir chez les autres, et confiant son sort à des dirigeants américanisés, yankeephiles, sans vision ni panache, et encore moins de consistance.
L’Europe comprendra-t-elle enfin cela ? Rien n’est moins sûr, tant est fort le sentiment de supériorité à l’égard de tout ce qui n’est pas « blanc » et tant est puissant le complexe d’infériorité face aux Américains… Le Vieux Continent accepte tout de l’Amérique et s’autorise tout pour les autres. Oui, mais pour combien de temps encore ?
Aziz Boucetta
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