Le Sommet du Kif, par Jawad Ech-Chafadi

Le Sommet du Kif, par Jawad Ech-Chafadi

La ville de Tanger a accueilli, la semaine passée, un colloque international sur le cannabis et les drogues, dont l’objectif était de réfléchir à la réglementation de la culture du kif et l’utilisation de ce produit à des fins médicales. Le timing retenu pour ce colloque, ainsi que son objectif, soulèvent plusieurs questions, alors même que la réalité établit que le kif du Rif est transformé en grande partie en hachich vendu dans les villes marocaines et écoulé à l’étranger par les mafias internationales.

Le parrain de ce colloque, Ilyas el Omari, a tordu le cou à la vérité en comparant le plant du kif à la figue et en lançant à la salle que « l’on ne peut pas interdire les figues dans ce pays au prétexte que l’on en fabrique de l’eau-de-vie »… Je saisis donc cette occasion pour l’informer, dans le cas où il ne le saurait pas, que les usages et bienfaits médicaux de la figue sont connus de tous, à l’inverse du kif qui n’a que deux utilisations finales, soit de se retrouver en l’état dans une pipe (« sebssi » en VO), soit de finir, après transformation, enroulé dans du papier à rouler des joints (« nibro », en VO aussi).

Le circuit économique de cette activité du kif, qui commence par la plantation et qui se termine par le trafic de drogues, passe par plusieurs étapes et entre les mains de mafias multiples d’intermédiaires. Si on part du postulat que le modeste cultivateur qui cultive son kif sur un non moins modeste lopin de terre est innocent des usages ultérieurs de sa production, il n’en demeure pas moins que le produit final, stupéfiant, et les mafias qui s’occupent de sa diffusion n’auraient pu exister sans la production initiale.

Le PAM avait déjà, par le passé, introduit un projet de loi pour réglementer l’activité de la culture du kif. Mais au lieu de réfléchir à la création d’un organisme chargé de la régulation de la production de chanvre, comme cela était stipulé dans ledit projet, il eût mieux valu penser créer une agence de développement des régions de production et de culture. Cette agence aurait ainsi élaboré une stratégie de soutien à des projets de développement et de mise en place d’initiatives de création de richesses. En effet, la seule voie possible de résolution de la problématique de la culture du kif est le développement des régions concernées.

Quant à la réduction de la question du kif à la seule dépénalisation de cette culture, on ne pourrait y voir qu’une fuite en avant et une volonté d’ignorer le fond du problème, qui est l’absence de véritables politiques publiques  de développement et la mise en avant de l’approche sécuritaire et répressive.

Et quand bien même nous accepterions l’idée de la légalisation de la culture du kif, il restera à en convaincre le cultivateur qui écoule une tonne de sa production à 40.000 DH alors même qu’il sait pertinemment qu’une tonne de kif industriel ne lui rapporterait que 6.000 DH… et on ajoutera également que le kif actuellement produit, contrairement au chanvre industriel, ne sert qu’à la consommation en drogue, du fait de sa haute teneur en en tetrahydrocannabinol, ou THC ».

Et donc, l’appel lancé pour une amnistie générale des cultivateurs du kif faisant l’objet de mandats de recherche nationaux, et dont le nombre est estimé à environ 48.000 personnes, ne signifie pas nécessairement leur donner le droit de revenir à leur activité première. Non, une telle amnistie devrait être conditionnée par leur orientation vers d’autres cultures ; mais cela est un autre problème, qui  requiert un accompagnement socio-économique public, car la substitution du kif par un autre plant implique une importante baisse de revenu pour le cultivateur.

A une époque où les sages de ce monde agissent et militent en faveur de la lutte contre le chanvre indien et toutes formes de drogue, au Maroc des voix déviantes appellent à la réglementation du kif et à son utilisation à des fins médicales. Et cela n’est pas étonnant au vu de l’identité et de la nature de ceux qui ont organisé le Sommet du kif, sachant que leur volonté est de mobiliser des voix électorales, dusse cette stratégie se faire au détriment d’électeurs qui ne savent rien cultiver d’autre que le kif.

Jadidepress.com

Commentaires