Les islamistes et leur allégeance à l’Etat, par Ahmed Aassid

Les islamistes et leur allégeance à l’Etat, par Ahmed Aassid

De nombreux Marocains ont remarqué cette tendance des dirigeants du PJD et de certaines grandes figures des courants islamistes à faire montre d’un enthousiasme débordant dans le soutien des mouvances qui leur sont idéologiquement proches à travers le monde, réduisant d’autant leur implication dans des affaires nationales comme celle du Sahara. Comment et pourquoi ? Pour répondre, il est important de connaître quelles sont les racines et les références idéologiques des courants de l’islam politique.

Les islamistes affichent une forme de complexe à l’égard de l’Etat national moderne car ils ne disposent pas dans leur référentiel intellectuel ou religieux de principes qui pourraient le soutenir et le porter. Ils sont imbus des idées du corpus jurisprudentiel ancestral qui détermine leurs positionnements actuels tant dans la théorie qu’en pratique, et ce corpus a été entièrement bâti sur l’objectif d’édification du califat, de l’inféodation à la religion et de la conduite des affaires de « la communauté des musulmans » dans « la maison de l’islam ». Autant de principes qui n’ont plus aujourd’hui de place dans le monde actuel, pour plusieurs raisons :

1/ Le califat religieux s’est effondré, a définitivement disparu au début du 20ème siècle. Il a été remplacé depuis par l’émergence d’Etats nationaux fondés sur les nationalismes et les identités internes à ces sociétés et Etats. Des frontières géographiques ont été dessinées, des drapeaux ont été conçus et des nationalités en ont été issues. Et du fait que ces pays comptent des citoyens de différentes races, couleurs, langues et confessions, l’idée de « la communauté des musulmans » ne peut plus faire face à la réalité des faits. Les Etats sont désormais au service de leurs sociétés comptant des citoyens égaux devant la loi, malgré leurs différences et ainsi, ces sociétés ne sont plus une « communauté » intégrée, du fait de l’existence de principes comme le droit à la différence et le respect de l’Autre qui en représentent le fondement et la base. A partir de là, l’idée de la primauté de la religion et de sa suprématie sur les citoyens a fortement reculé et les pactes sociaux établis contraignent les Etats à mettre en conformité les contenus religieux avec les intérêts des citoyens, à les faire correspondre aux mutations sociétales et à les soumettre aux besoins sans cesse renouvelés des populations.

2/ « La maison de l’islam » est un concept désormais dépassé et obsolète car il signifiait la différenciation géographique des zones régies par le califat avec d’autres espaces, « de guerre », où vivaient chrétiens, juifs et autres religions auxquelles on portait le fer et le feu pour les contraindre à entrer en islam ou, à défaut, à payer l’impôt (pour les adeptes des religions monothéistes(.

3/ Les Etats modernes centralisés ont adopté un corpus de lois, relevant du droit positif tel qu’universellement admis (ou presque). La légitimité et la légalité religieuses ne sont plus le référentiel premier et principal dans la conduite des Etats. Tout au plus, dans certains pays, la religion représente une des références générales utilisées et, dans d’autres contrées, elle est appliquée dans certains domaines seulement, comme les statuts personnels, et avec des aménagements comme pour ce qui concerne, par exemple, les femmes qui sont devenues productives comme les hommes. Quant à l’usage référentiel intégral de la religion, il n’est en vigueur que dans certains très rares pays qui se comptent sur les doigts d’une main, et qui connaissent des problèmes sociaux insurmontables avec l’existence d’appareils répressifs impitoyables et, bien évidemment, croulent sous  l’ignorance et connaissent la stagnation.

Dans les autres pays musulmans où le droit positif est de rigueur et le référentiel religieux réduit à sa plus simple expression, on observera que cela n’a pas été décidé dans une logique démocratique mais dans le cadre de régimes absolutistes de type militaire, autocratique ou oligarchique. La conscience islamique n’est donc pas parvenue à assimiler les fruits de la modernité, du fait de la persistance des instincts autoritaires qui entravent l’épanouissement démocratique. Et c’est cela qui a donné naissance aux courants islamistes contestataires qui ont appelé au retour à l’idée de l’Etat religieux, dirigé par les théologiens, soumis à leur loi et à leur autorité, lesquelles ouvrent sur une vaste tutelle de la société.

L’instinct réactionnaire a favorisé l’émergence et le développement de ces courants islamistes au sein de leurs sociétés, de sorte qu’à chaque fois qu’un problème des temps modernes surgit et s’étend, on va chercher la solution « toute faite et prête à l’emploi » dans le passé. L’explication tient au fait que puisque c’était la religion qui régentait les Etats et les sociétés avant l’ère moderne, elle était perçue dans l’imaginaire collective comme la panacée incontournable pour les problématiques contemporaines.

Et ainsi, considérer la religion comme la solution a conduit au fait que chez les islamistes l’Etat reste en dehors du concept moderne qui le définit aujourd’hui. Les frontières géographiques ne sont donc plus reconnues en cela qu’elles ne résistent plus à l’idée de la distinction d’Etat différents, au profit d’un califat fédérateur. Et c’est cela qui explique la proximité des courants islamistes avec des confréries géographiquement éloignées, au nom du soutien, de la convergence et de la solidarité, et leur éloignement des institutions nationales qui regroupent les populations au sein d’un même Etat sur la base de la nation, de la société, de la culture et de la langue, en dépit de différences et de divergences confessionnelles. Et donc, les courants islamistes se revendiquent de pratiques religieuses importées, à la « piété stéréotypée ».

Et c’est de là que la confusion et le chaos intellectuels sont nés dans ces contrées où les courants islamistes fleurissent… En effet, comme les régimes théocratiques se trouvent dans des pays comme l’Arabie Saoudite, l’Iran ou encore le Soudan, des Etats considérés comme absolutistes et/ou sous-développés, et comme les modèles militarisés (Taliban, Daech, an-Nosra) ont échoué à assurer le développement de leurs sociétés sur le modèle prophétique, comme ils le pensaient, une grande confusion est apparue dans les esprits car les gens ont remarqué que les pays les plus prospères et les plus développés sont ceux-là mêmes qui ont dissocié l’Etat et la religion et qui ont instauré les principes de liberté, d’égalité et de citoyenneté ; ces pays ont également adopté le rationalisme scientifique dans leurs plateformes éducatives, et se sont engagés dans des processus d’industrialisation et de développement différents mais relevant des mêmes principes.

C’est tout cela qui a conduit les islamistes à soutenir le modèle turc, car il s’agit d’un pays musulman qui a réussi, grâce à sa laïcité, à se défaire du sous-développement qui caractérise la religion et qui le caractérisait lui-même du temps du califat ottoman. Mais la confusion demeure au sein des courants islamistes à l’égard de cette même Turquie car si le soutien apporté au gouvernement turc se justifie par le fait qu’il est dirigé par un parti relevant de la confrérie des Frères musulmans, comme le PJD marocain, il n’en demeure pas moins que le succès politique de l’AKP d’Erdogan s’est fondé précisément sur la laïcité comme principe fédérateur et rassembleur, nonobstant les confessions et croyances des individus pris séparément.

Et si Erdogan, du fait de son ambition démesurée, œuvre un jour à porter atteinte à la laïcité dans son pays, il ne pourra avoir comme réponse que la chaos et l’instabilité car la mosaïque des confessions, des ethnies et des nationalités ne sera plus unifiée et, de ce fait, le pays sombrera dans la guerre civile.

Tout cela explique donc pourquoi les islamistes applaudissent à toutes les expériences menées dans différents pays musulmans et sont prêts à y adhérer car ils pensent dans leur conscience collective que cela les restaurera dans leur gloire passée. Mais jamais, à aucun moment, ces gens ne pensent que le seul modèle véritablement exemplaire est celui de la laïcité turque, une véritable école qu’aucun courant islamiste, bien malheureusement, ne veut retenir comme modèle.

(Traduction de PanoraPost)

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