Le trône africain, par Noureddine Miftah
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- 12 novembre 2016 --
- Opinions
L’habitude aidant, et à force de commenter les discours royaux, nous sommes tous devenus experts en la matière. Et en dehors de cette capacité à ériger précipitamment en priorité absolue les points qui figurent dans les adresses du roi Mohammed VI à la nation, chacun y va de son interprétation sous l’angle de vue qui lui convient.
Ainsi par exemple de Benkirane qui a lu le dernier discours prononcé depuis Dakar comme une confirmation presqu’absolue de ce qu’il entreprend pour la formation de son gouvernement, prenant ce discours comme un encouragement de son action. A l’inverse, les adversaires du chef du gouvernement estiment que le propos du roi Mohammed VI est un message ferme adressé à Benkirane en vue de l’inciter à changer son fusil d’épaule et à rectifier son tir dans ses actuelles tractations. La même chose s’était produite pour le discours du Trône, quand le roi avait dit qu’il se situait au-dessus de la mêlée et des luttes partisanes, appelant au respect de sa fonction.
L’important ici est de noter que les discours royaux ne sont plus des messages destinés et distillés à qui de droit, mais des propos qu’on utilise dans les conflits entre partis et qu’on instrumentalise dans les luttes de clans… et cela rend plus compliqué encore des choses qui le sont déjà.
Mais pour ce discours de Dakar, tout le monde est d’accord sur sa symbolique, sa très forte charge symbolique. Le choix du lieu était fort audacieux et j’imagine que celui qui en a eu l’idée a pensé que si le discours précédent de la Marche Verte avait été donné à partir de Laâyoune, avec toutes les indications que cela avait porté en son temps pour l’Afrique, il fallait que celui de cette année de l’adhésion à l’Union africaine et du retour sur la scène continentale revête plus de symbolique encore. La décision a alors été prise de s’adresser aux Marocains à partir de l’Afrique, plus précisément du Sénégal, l’ami loyal, l’allié convaincu de la justesse et de la légitimité de notre cause nationale.
Et pour souligner encore plus l’importance du fait et de sa charge symbolique, le trône qui se trouve habituellement derrière le roi en pareille circonstance et qui incarne l’institution monarchique a disparu, cédant la place à une grande carte de l’Afrique. Comment lire cela ? Que le trône est l’Afrique et que l’Afrique est le trône.
Dans une déclaration avant l’arrivée du roi Mohammed VI à Dakar, le président sénégalais Macky Sall a suggéré l’idée que le chef de l’Etat marocain est le roi d’Afrique, dans une allusion évidente à l’orientation continentale et la diplomatie résolument africaine du roi. Et sans cette connotation négative de ce titre de roi d’Afrique du fait de son accaparement un temps par le Guide libyen déchu, Mouammar Kaddhafi, l’allusion du président Sall aurait pris toute son importance à l’aune de cette grande offensive marocaine sur le continent, pour retrouver sa place perdue durant 32 ans à une table où l’un des Grands est absent. Aujourd’hui, les choses rentreront dans l’ordre car les règles du jeu changent radicalement, et continueront de changer.
Sur le plan interne au moins, le Maroc a dépassé le blocage de s’installer à la même table africaine que la République sahraouie, qui ne dispose pas des conditions d’existence légale d’un Etat. Au niveau extérieur et diplomatique, le Maroc a également laissé dans les méandres de l’Histoire son positionnement consistant à classer les nations entre amies et ennemies en fonction de leur attitude à l’égard du Sahara marocain. De plus, Rabat a également opté pour la voie de ne plus uniquement s’impliquer dans le versant occidental de l’Afrique francophone. Et c’est pour ces raisons que nous avons tous assisté à cette gigantesque machine qui s’est mise en branle aussitôt après la plus grave crise que nous ayons connue avec les Nations Unies et les Etats-Unis, quand il a été décidé de faire de la Minurso une nouvelle Résidence générale, qui a commencé à œuvrer à installer cette idée que la solution pour la question du Sahara ne saurait passer que par son indépendance.
Tout le monde avait alors estimé que le Maroc entamait une période de forte et grave perturbation, qu’il entrait dans une catastrophe pour tout dire, et même les plus optimistes étaient inquiets. L’Algérie avait continué de jouer la carte africaine alors que le Maroc se cherchait un nouveau souffle, voire un souffle tout court en allant chasser sur les terres russes, puis chinoises ou indiennes, ou encore en réactivant ses anciennes alliances comme le Conseil de Coopération du Golfe.
Personne alors ne pensait que le palais allait entreprendre un retour au sein de l’Union africaine, et quand ce fut le cas, l’opinion publique intérieure a applaudi des deux mains, non pas suite à une réflexion géostratégique, mais par intuition et spontanéité quant à l’utilité et l’importance de la chose. Et alors la diplomatie royale s’est mise à récolter ce qui a été semé voici plus de dix ans en Afrique occidentale francophone en termes de partenariats gagnant-gagnant. L’Etat a tout mis en œuvre pour réussir ce retour, non pas par simple fierté, mais pour en assurer une véritable grandeur victorieuse – même si je n’apprécie pas beaucoup cette expression, elle est ici justifiée – … En effet, se mettre en position de supplier n’est pas recommandé pour un Etat, de même que garder la tête haute n’est pas de la prétention ou de la transcendance, et le Maroc, dans cette logique, tente de réparer ce qui s’est brisé entre lui et un continent dont il fut fondateur des instances et duquel il se trouve aujourd’hui exclu… Cela n’est ni bon ni salutaire. Aussi, corriger l’existant à travers tout ce qui a été fait aujourd’hui, en termes d’armes de construction massive, est un parcours obligatoire pour réaliser au moins un équilibre, avant de concrétiser une victoire par la reconnaissance de notre droit.
Face à tous ces enjeux et ces grands défis existentiels africains, la situation interne au Maroc joue un rôle crucial. Et si la compétition partisane et les ambitions sont légitimes, il faut garder à l’esprit qu’une véritable stabilité du pays ne saurait et ne pourrait passer que par le Sahara. Le Maroc, sans son Sahara, ne peut être, alors a fortiori le gouvernement et le parlement… Or, l’unité territoriale est aujourd’hui tributaire de l’Afrique et de la profondeur continentale du royaume. Il serait donc souhaitable que cette guerre politicienne, voire politicarde, prenne fin et que ses protagonistes, tous, fassent montre d’humilité au regard de l’insignifiance de la légitimité de leurs ambitions, alors même que tous autant qu’ils sont n’ont su attirer que 6,5 millions d’électeurs sur 23 millions qui ont le droit de voter. Il serait utile que ces belligérants disent et se disent « assez ! », puis s’engagent dans ce qui ressemblerait à un gouvernement d’union nationale au nom et pour la plus grande gloire de la Nation. Quel est ce programme, et de quel parti, qui pourrait justifier toute cette boulimie de pouvoir alors que les différents acteurs de cette lutte reconnaissent eux-mêmes que l’affrontement ne se fait pas sur la base d’idéologies mais en termes de « sérieux » et de « pas sérieux » ?… des concepts relatifs, sachant que nous voyons aujourd’hui, sur la scène politique, l’ennemi d’hier devenir le grand ami, et l’allié de la veille se transformant brutalement en adversaire honni.
En tant qu’observateurs, nous ne disposons certes et certainement pas de toutes les données du problème, mais l’intuition ne trompe guère et notre intuition nous dit que notre pays est en danger et qu’il ne saurait être soutenu que par une unité dans les rangs politiques, par un dépassement des egos et par la fin des surenchères. Car, en effet, quand on jette de l’huile sur le feu, le feu prend et quand il prend, il brûle tout sur son passage, les bons et les mauvais, et en redemande encore et encore…
Al Ayyam (traduction de PanoraPost)
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