En attendant les « cent jours », un gouvernement sans voix !, par Aziz Boucetta

En attendant les « cent jours », un gouvernement sans voix !, par Aziz Boucetta

De Benkirane à El Otmani, le gouvernement n’a pas perdu sa légitimité, mais sa voix. En très exactement 34 jours, de la date de la révocation d’Abdelilah Benkirane à l’investiture du gouvernement Saadeddine El Otmani, le Maroc politique est sorti de la situation de blocage institutionnel, pour passer à celle d’une léthargie verbale. Silence dans les rangs…

La grande différence de style entre l’ancien chef du gouvernement et le nouveau est la parole, la prise de parole et l’amour du Verbe. Au commencement du gouvernement Benkirane était le Verbe, et le Verbe était en Benkirane, et le Verbe était Benkirane. Il n’y a qu’à remplacer Verbe par silence, et on obtient une définition de la méthode El Otmani. Et cela est au bénéfice d’Abdelilah Benkirane, qui a continué, lui, de parler, même après son éviction… réussissant le tour de force de parler même en gardant le silence.

Avec Saadeddine El Otmani et ses ministres, on a la sensation d’un grand vide oratoire. Le bon docteur est psychiatre de formation et de profession : il est donc dans l’écoute, et parle peu. D’après certaines informations fragmentaires que nous avons pu nous procurer, très aléatoirement, on sait que cette équipe travaille, et qu’elle remplacera la parole par l’action. Mais en politique, l’action ne suffit pas, elle doit être portée par l’expression et l’interaction.

Par ailleurs, on sait les conditions dans lesquelles ce gouvernement a été formé, et le vent de fronde qui a soufflé par la suite en bourrasque sur le PJD, dont plusieurs membres ont très mal pris la sortie brutale de Benkirane (et aussi le fait qu’ils n’ont pas été nommés dans le cabinet El Otmani). Alors ils donnent de la voix, présentent Benkirane comme victime expiatoire de sa « résistance » et comme victime tout court des « ennemis du changement et de la réforme ». Facile, mais cela matche toujours, et fait toujours mouche.

Face à eux, le silence abyssal d’une classe politique qui ne se remet pas de ces 5 mois de blocage. Le PJD bouillonne de l’intérieur, les braises étant soigneusement attisées par Benkirane, le MP est taiseux comme à son habitude, le RNI est aussi muet que ses ministres sont flamboyants et discrets, le PPS se fait oublier, l’USFP tangue sous le poids de son chef. Quant à l’UC… Et cette absence de présence est très préjudiciable au gouvernement actuel, qui prête le flanc à la comparaison avec l’ancien.

Selon les confidences d’une personne proche des cercles de pouvoir, les membres du gouvernement El Otmani « reprennent leur souffle », en plus de « cautériser les plaies de 5 mois de blocage, avec toutes les insultes et les agressions »… Et de fait, les anciens ministres reconduits restent prudents, et les nouveaux sont effrayés, et dans les deux cas, ils se taisent.

Que cela soit pour les confrères,  PanoraPost ou  Mowatine (en ligne dès le 15 mai), la réponse d’un(e) quelconque ministre approché(e) pour une déclaration ou un décryptage est la même : « pas maintenant », ou « après l’adoption de la loi de Finances », ou « je n’ai pas le temps ». toujours courtois, toujours furtifs, ainsi sont nos actuels ministres. Plusieurs préfèrent ne pas répondre, s’évitant ainsi le désagrément d’un refus d’entretien ou d’interview.

Nous avons essayé de contacter Saadeddine El Otmani, Nabil Benabdallah, Mohamed Hassad, Aziz Akhannouch, Nezha el Ouafi ou encore Lahcen Daoudi, nous sous sommes heurtés à autant de murs infranchissables.

Les ministres donnent en effet le sentiment d’être tétanisés, alors même qu’au vu du déroulé des événements depuis deux mois, ils gagneraient à aller vers les médias, s’exprimer, s’expliquer, s’extérioriser, s’exclamer et même s’extasier s’il le faut et quand il le faut… Dans le cas contraire, ils ne laisseront que le souvenir du gouvernement Benkirane, et favoriseront une nostalgie pour cette époque du Verbe, et du verbiage.

Là où El Otmani doit multiplier les déclarations pour emplir la scène et le paysage politique, social, économique et partisan, il ne pipe mot… Là où Akhannouch doit expliquer l’apport de son parti et exposer ses réalisations, il se mure dans  le silence… Là où Nabil Benabdallah doit dévoiler les dessous de la formation de ce gouvernement, il préfère se concentrer sur ses bâtiments…

Puisque Benkirane et ses ministres, qui parlaient beaucoup, se taisent aujourd’hui, il appartient à El Otmani et les siens, qui ne disent rien, de s’exprimer beaucoup, désormais.

 

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