Les femmes mulets et le partage de l’héritage,par Fatiha Daoudi

Les femmes mulets et le partage de l’héritage,par Fatiha Daoudi

Je ne sais pas pour vous, mais moi, à chaque fois que je vois les femmes mulets, j’ai envie de pleurer et de hurler. La vue de ces femmes qui ont renoncé à leur statut d’êtres humains pour devenir des bêtes de somme afin de transporter, cassées en deux, des marchandises de contrebande, m’est insupportable.

Elles ne se transforment pas en mulets pour le plaisir masochiste de porter des charges lourdes, de souffrir de la chaleur ou du froid quand il faut attendre longtemps pour emprunter l’étroit passage que leur réservent les autorités frontalières. Elles le font pour faire face, en l’absence d’alternatives plus dignes, aux exigences de la vie quotidienne ; autrement dit, pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille.

A cause de cette transformation, elles prennent le risque de mourir étouffées ou écrasées en cas de bousculade, comme cela s’est récemment produit. Comment un pays responsable peut-il permettre une telle déchéance, sans parler de la tolérance flagrante envers la contrebande ? N’y a-t-il pas d’autres solutions pour créer des emplois qui mettront ces femmes à l’abri d’une telle exploitation ?

Les femmes mulets subissent donc ces différentes affres pour survivre parce que souvent elles n’ont personne pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille, parents et enfants compris. La cause de cette nécessité se trouve dans la mutation sociétale, elle-même conséquence de la complexification de la vie moderne. Les hommes ne peuvent plus, seuls, quand ils travaillent, faire face à ses exigences, comme c’était le cas dans le passé. Les femmes sont alors dans l’obligation de contribuer aux charges du foyer. La situation se complique en cas de chômage du conjoint ou de son absence car elles se trouvent confrontées, sans aide, aux besoins des enfants, des parents ou des deux à la fois.

Elles sont donc une force de travail et jouent un rôle social et économique conséquent. Cette situation me mène à en évoquer une autre, celle du partage de l’héritage. Ce parallèle, qui peut sembler incongru, s’impose car la contribution aux charges du foyer et le partage de l’héritage font tous deux partie de la gestion du patrimoine.

La vie quotidienne nous montre que la charge économique de la femme évolue alors que les règles successorales restent figées dans leur inégalité, basée sur le sexe. Dans ce contexte, dites-moi je vous prie comment  faire comprendre et admettre à la femme mulet qu’en cas d’héritage,  son frère qu’elle prend en charge, recevra le double de sa part ?

Il est vrai que concernant les règles de l’héritage, les femmes mulets sont un cas extrême mais les autres femmes ne sont pas en reste car elles jouent également un rôle économique et social. Par conséquent, elles subissent tout autant l’inadéquation de ces règles du fait que, soit elles participent aux dépenses du foyer, soit elles les prennent totalement en charge.

Les règles successorales actuelles font fi de la nouvelle réalité sociétale et contribuent, en continuant à discriminer les femmes, à leur paupérisation.

Un pays qui a l’ambition d’émerger doit veiller à l’équité au sein de sa population, dont la moitié est constituée de femmes. Ce n’est qu’ainsi que ces dernières seront rétablies dans un statut de citoyennes au lieu de rester dans celui de bêtes de sommes.

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