Benkirane ou le basculement du politique au pathologique, par Aziz Boucetta

Benkirane ou le basculement du politique au pathologique, par Aziz Boucetta

Abdelilah Benkirane a dirigé le gouvernement du Maroc cinq années durant, dans la joie et la bonne humeur, et quelques moments de tension. Nous avions un populiste rigolard qui, au-delà de l’action, a aimé surtout l’expression, qui a placé très haut le sens du verbe, sans  trop se préoccuper de la réalité des choses.

Nous avons aujourd’hui un homme blessé, qui ne se console pas d’avoir perdu sa présidence du gouvernement. Un peu comme un enfant qui excéderait son tuteur par sa légèreté et son bruit et qui, une fois dessaisi de son jouet, provoque le tumulte et le vacarme.

A chaque prise de parole de l’ancien chef du gouvernement, on attend le propos et on s’attend au pire. Et à chaque fois, depuis qu’il a été révoqué le 15 mars, l’homme joue et distille ses petites phrases, se posant invariablement en victime. Il a su vendre, en bon commerçant qu’il est, l’idée d’un détournement de la démocratie. Mais ce qui s’est produit en fait est éminemment constitutionnel.

Souvenons-nous… Le PJD est arrivé premier aux législatives et le chef de l’Etat a désigné son premier responsable à la tête du gouvernement. Cinq mois sont passés et ne voyant rien venir, le roi l’a remercié et a désigné le numéro deux du même parti arrivé premier. Celui-ci, Saadeddine El Otmani, a formé son gouvernement et s’est attelé au travail. Le nouveau chef du gouvernement est moins charismatique que le premier qui ne lui pardonne pas de l’avoir supplanté. Pour Benkirane, point de légitimité en dehors de lui, quitte à bloquer l’action d’un gouvernement après avoir bloqué la formation de son gouvernement…

Aujourd’hui, lorsqu’on entend Benkirane s’exprimer, évoquer le blocage, rappeler ses piteuses négociations avec Aziz Akhannouch, écorner encore, toujours, sans cesse, Saadeddine El Otmani, on a le sentiment que le Maroc vit une dictature abjecte, où l’absolutisme est roi et où règne l’opacité.  Une «  dictature » où il dit ce qu’il entend, où il peut s’entendre parler comme il l’entend, oubliant le temps d’antan où il ne pouvait ni parler ni même sous-entendre ce qu’il pensait…

Et pourtant, un serein retour sur les événements montre le contraire. Un chef du gouvernement est nommé le 10 octobre, et il obtient sa majorité avec l’Istiqlal, le PPS et l’USFP huit jours après ; puis il veut plus, l’expertise du RNI en l’occurrence, mais celui-ci a ses conditions. Peut-on valablement le lui reprocher ? Oui, dira tout le monde en chœur, emporté par l’excellent talent de Benkirane à mystifier les choses.

Puis le même Benkirane s’emporte, et demande une enquête parlementaire sur le blocage… Fort bien, poursuivons le raisonnement jusqu’à l’absurde : Akhannouch est convoqué par une commission parlementaire. « Avez-vous bloqué ? », lui demandera-t-on… « Non, j’ai posé mes conditions… cela s’appelle la négociation ». Benkirane a refusé les conditions de la personne qu’il a été chercher pour le rejoindre au gouvernement. Qui bloque donc ? L’ancien chef du gouvernement veut que tous soient à l’image de Nabil Benabdallah, à lui dociles et soumis. Il ne fait confiance ni à Chabat ni à Lachgar ni à Akhannouch. Il ne fait confiance qu’à lui et n’aime que lui.

A défaut de rester chef du gouvernement, il veut se maintenir chef du parti. Au risque d’éclater ce parti qu’il a contribué à hisser au plus haut. Mais à ses yeux, le PJD ne peut rester haut que s’il reste à sa tête. Tel est le personnage.

Puis, porté par l’irrésistible envie de rester visible et emporté par l’incroyable ambition de gouverner, voilà le même Benkirane qui lance ses piques à tous, roi et chef du gouvernement compris, attaquant ses pairs et multipliant les impairs, sollicitant l’émotion des jeunes de sa Jeunesse et convoquant les sentiments du bon peuple si prompt à insulter les riches et rejeter les puissants. Il veut rester en situation, lui et lui seul, lui qui, en 2013, lors de ses âpres négociations avec Salaheddine Mezouar, avait dit en plein secrétariat général du PJD « Estimez-vous heureux si vous ne gardez que la présidence du gouvernement ! »… Lui, lui seul, encore et toujours lui, qui veut luire, sans se soucier de nuire.

En un mot, comme en cent, Benkirane bascule du politique au pathologique. Le Maroc n’a pas besoin de cela et le PJD encore moins… Le PJD mérite plus, et le Maroc encore plus. Et pour une fois que l'on pensait avoir, enfin, trouvé un leader politique, on le découvre, finalement, comme tant d'autres...

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