Le Mondial 2026, un face-à-face Mohammed VI-Donald Trump, par Aziz Boucetta
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- 22 janvier 2018 --
- Opinions
Personne, ou presque, ne sait ce qui se passe vraiment dans la tête de Moulay Hafid Elalamy, ministre RNI du Commerce et de l’Industrie, depuis qu’il a été désigné par le roi Mohammed VI président du Comité de candidature de Maroc 2026… Personne ne sait s’il mesure à sa juste valeur le challenge qu’il doit relever, et les très considérables atouts dont il dispose pour ce faire. Le Maroc a une chance unique, réelle, d’obtenir le Mondial 2026. Au-delà de la noblesse du sport et de la popularité du football, le vote des 211 fédérations de la FIFA le 13 juin sera politique, et dans ce vote, ce sera au final Mohammed VI contre Donald Trump.
Les précédentes candidatures n’étaient tout simplement pas crédibles, parce que le pays ne l’était pas, et parce que personne ne croyait alors à l’Afrique et en son potentiel… Si, en 2004, l’Afrique du Sud avait été retenue pour le Mondial 2010, cela était le fruit de la double combinaison de la méthode Blatter et d’une faveur qu’il fallait faire au continent.
Aujourd’hui, les choses ont radicalement changé. Le principe de rotation des continents pour l’organisation de la Coupe du monde, quelque peu modifié, exclut de fait l’Europe et l’Asie, qui auront respectivement accueilli les éditions 2018 (Russie) et 2022 (Qatar). Il ne reste plus donc que les Amériques et l’Afrique, d’où la double candidature de l’Amérique du Nord et du Maroc.
Le royaume dispose aujourd’hui d’une chance inouïe de faire aboutir son ambition. En effet, disons-le clairement : si ce sont 211 fédérations qui voteront le 13 juin et désigneront le pays hôte du Mondial 2026, les décisions seront celles de leurs Etats. Or, sur ce plan, le Maroc part avec une grande avance, pour plusieurs raisons.
D’abord et avant tout, la candidature nord-américaine est commune entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique. Ce dernier pays fait d’ores et déjà office de parent pauvre de cette candidature, avec seulement 3 villes retenues, contre 4 pour le Canada (une nation où le football est plutôt méconnu) et 32 pour les Etats-Unis. Si on ajoute à cette forme de mépris la question du mur, sur lequel Donald Trump a encore récemment insisté, il ne faudrait raisonnablement pas attendre du président mexicain Enrique Peña Nieto qu’il défende cette triple candidature avec la dernière énergie. Enfin, autant Justin Trudeau que Peña Nieto vouent une animosité presque explicite et certainement égale au locataire de la Maison Blanche. Comme candidature commune, on fait mieux…
Mais il y a aussi cette aversion mondiale pour Donald Trump, pour autant de domaines où le Maroc s’active, voire excelle, depuis plusieurs années.
1/ Le climat. Donald Trump a retiré les Etats-Unis de l’Accord de Paris, ruinant les efforts déployés par tous les pays du monde contre le réchauffement de la planète. Le Maroc, lui, a organisé sa COP22, y a brillé, puis a poursuivi son action, ses initiatives continentales remarquées et son engagement en matière d’environnement.
2/ Les migrations. Alors que le Maroc copréside avec l’Allemagne le Forum mondial sur la Migration et qu’il organise en décembre prochain la Conférence internationale de l’ONU sur la Migration… après qu’il ait mis en œuvre une politique de régularisation des migrants arrivé sur son sol, et qu’il s’impose de plus en plus comme pays d’accueil définitif et non plus de simple transit, le président américain a une approche inverse, interdisant son pays aux ressortissants de plusieurs pays musulmans, traitant des pays d’Afrique de « pays de merde » (avec Haïti), ruine les rêves de ses « Dreamers »...
3/ Jérusalem. Donald Trump s’est rugueusement aliéné le monde entier pour sa décision sur le statut de Jérusalem, et même les pays qui ont voté pour lui à l’ONU ne l’ont fait que sous la menace… Pour sa part, le roi du Maroc est le président du Comité al-Qods, un organisme reconnu à l’international, agissant pacifiquement, dans le dialogue, l’écoute et les petits pas.
Au-delà d’un pays, d’un territoire, les 211 fédérations, et Etats qui sont derrière elles, devront choisir cette fois entre deux conceptions du monde, celle égoïste de Donald Trump et celle, multilatéraliste et universaliste de Mohammed VI. Perdre contre la Grande Amérique et le brutal Trump n’est pas vraiment perdre, mais gagner face à eux serait un triomphe.
Donald Trump a suscité la révulsion de ses pairs chefs d’Etat, insultant les uns, méprisant les autres, offensant de grandes nations européennes classées en catégorie de risque sécuritaire 2 (Allemagne, France, Royaume-Uni). Donald Trump a mobilisé contre lui les grands chefs d’Etat porteurs du projet environnemental mondial. Donald Trump a gravement heurté les musulmans et les chrétiens en « remettant » Jérusalem aux seuls juifs. Donald Trump a insulté les très susceptibles sud-américains par ses déclarations à l’emporte-pièce sur leur continent. Donald Trump a franchi le pas de trop en traitant Haïti et certains pays africains de « pays de merde ».
Donald Trump concentre sur sa personne toute la détestation du monde, comme rarement – peut-être comme jamais – un président américain l’a fait avant lui.
Il appartient au Comité de candidature marocain de rappeler tout cela aux chefs d’Etat concernés, c’est-à-dire presque tous. Si Moulay Hafid Elalamy, fin négociateur et franc-tireur opportuniste (ce qui en affaires et en football est une qualité…), prend la mesure de ces atouts, il saura à quel point ils sont bien supérieurs aux avantages matériels et aux installations infrastructurelles qu’alignent ses concurrents.
Moulay Hafid Elalamy défendra une décision prise au niveau politique, c’est-à-dire au plus haut niveau de l’Etat. Une décision prise par le roi Mohammed VI, qui a dû peser le pour et le contre, et qui a estimé que le pour est supérieur au contre. Il devra rencontrer des présidents, des premiers ministres, des présidents de fédérations nationales, des émirs… et les convaincre de priver Donald Trump d’un Mondial qu’il fera tout pour défendre, le jour où on lui en expliquera les enjeux.
Mais le temps manque. Il ne reste que 5 mois pour parcourir le monde, autant de fois qu’il le faut, expliquant, rappelant, argumentant, présentant des faits que Donald Trump ne cesse de confirmer chaque jour et à chaque tweet. Le Comité n’a pas le temps et, dirigé par un ministre, il se met en place à une allure de sénateur.
Le monde attend, car on attend de savoir où sera organisée une coupe du monde. Le football est à la base de la politique de tous les pays du monde, ou peu s’en faut.
Chaque pays, pris individuellement, pourra être convaincu du bien-fondé de la candidature marocaine, et à défaut du bien-fondé d’un vote sanction contre l’Amérique de Trump. Et chaque groupement de pays pourra être convaincu en tant que tel, chacun ayant au moins un sérieux grief contre le milliardaire newyorkais : l’Union européenne (protectionnisme et sécurité), l’Union africaine (migrations et « pays de merde »), Comecon (condescendance), ONU (Statut de Jérusalem), les Parties de la COP (Accord de Paris)…
Les Marocains sont sortis à plusieurs millions dans les rues, pour une simple qualification à une Coupe du monde. Imaginons ce que serait leur réaction si leur pays obtient l’organisation de cette compétition…
Personne ne sait, donc, si Moulay Hafid Elalamy pense à tout cela, matins et soirs, en se rasant ou pas, et personne ne sait s’il est conscient de la chance quasiment unique du Maroc d’obtenir, enfin, à la 5ème tentative, l’honneur de l’organisation d’un Mondial sur son sol. Dans son effort de visibilité internationale, et dans son ambition de devenir une puissance régionale, voire continentale, reconnue, le royaume doit organiser ce Mondial. Perdre contre l’Amérique de Trump n’est pas vraiment perdre, mais gagner est mieux.
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