Changeons (d'abord) de modèle politique avant de penser (ensuite) à un modèle économique, par Hatim Benjelloun

Changeons (d'abord) de modèle politique avant de penser (ensuite) à un modèle économique, par Hatim Benjelloun

Trouver un nouveau modèle économique est une priorité. Notre Roi l’a constaté, amèrement. La machine « croissance » est enrouée, et pour certains, elle est à l’arrêt. Non par manque de dynamisme, mais à défaut d’un modèle efficient, doté d’agrégats économiques sains, performants et prédictibles. La vision comptable de l’Etat a trop longtemps primé sur une vision économique, longtermiste. Le génie économique est de facto impossible lorsque l’économie est gérée à coup de lois de Finances.

Aujourd’hui, nul doute que de nombreux experts, observateurs, partis politiques, dirigeants, reprendront à leur compte ce slogan « Nouveau modèle de développement », désormais estampillé du sceau royal. Des idées, des propositions, des benchmarks, des forums, des chroniques et des débats… tous les experts s’en gargariseront… j’en ferai certainement de même. So ?

Comment peut-on dessiner une nouvelle vision économique, mettre en place un nouveau modèle de développement et fédérer l’ensemble des opérateurs, fussent-ils publics ou privés, avec patriotisme, témérité et loyauté ? Honnêtement, je ne prédis rien d’autre que de futurs mesurettes et quelques bricoles courageuses par ci par là. Non par manque de compétences. Non par manque de créativité. Mais seulement, parce que le moteur central censé créer, concevoir, développer et déployer ce modèle économique est amorphe, en panne, en feu… peu importe le terme : c’est notre modèle politique. Je ne vais pas ressasser le constat déjà établi, connu et reconnu par tous, notamment par la plus haute autorité du pays. A mon sens, construire un nouveau modèle politique est à placer au sommet des urgences.

Les idéologies sont mortes. Nous n’avons hérité que de leur costume funeste : les démagogies. Je suis citoyen marocain. Non. Je suis un sujet marocain. Sujet de Sa Majesté. De ce postulat, j’agis, je raisonne et je vis tel un sujet. « Subject of the King » arborent fièrement les anglais. Nous ne pouvons amorcer un début de réflexion en ignorant cet axiome sociologique central, irréversible et irréfragable dans notre pays. Comment se créent les idées dans notre pays ? Certainement pas sur l’agora, à travers le débat et la confrontation démocratique. Le Roi impulse une vision. Nous y adhérons. Nous la commentons. Nous pouvons même librement la critiquer ou s’en distancier. Mais au final nous y adhérons. Pour certains par tradition et par coutume, d’autres par conviction, d’autres par patriotisme, et les quelques réfractaires, y adhérent par le rejet.

Je le dis haut et fort : nos institutions, dites démocratiques, sont inutiles. Elles sont aujourd’hui une des causes premières de nos difficultés économiques et sociales. Notre parlement est aux abois : il ne représente que lui-même. Il n’est devenu qu’un espace clanique, rythmé par des guerres politiques et syndicales. Notre parlement ne produit aucune loi. Près de 90% de nos lois sont issues de l’Exécutif. Le choix de représentants de la nation sur le modèle électoraliste occidental est un échec total. Il est producteur de puissants notables et de notables rentiers. La rente alimente la politique ou la politique alimente la rente, peu importe. Mais la rente est la tumeur du développement.

Je ne m’attarderais pas sur les élus locaux. Je risquerais la diffamation. Il suffit simplement de constater la célérité des projets d’aménagement de la métropole, depuis la création des SDL qui, au demeurant, ont confisqué le pouvoir démocratique des élus. Personnellement, je suis bien loin d’aduler le pouvoir des ingénieurs et des techniciens, mais aujourd’hui j’applaudis cet absolutisme technocratique, par défaut ou par sujétion, la question ne se pose plus.

Ma réflexion transpire le totalitarisme, une forme de néo-gauchisme et le doux rêve d’une monarchie exécutive, si ce n’est absolue… Pourtant, les pays nordiques, considérés aujourd’hui comme les démocraties les plus avancées dans le monde, ont déjà entamé leur mue en instituant des modèles politiques post-démocratiques. Je m’explique : la domination exponentielle des NTIC, l’émergence de l’économie collaborative, les prémisses de l’intelligence artificielle et l’avènement de sociétés complètement dématérialisées offrent, à de nombreux pays démocratiques, l’opportunité de repousser les limites de la démocratie représentative pour penser de nouvelles formes de participations citoyennes, plus équitables, plus justes et surtout moins déconnectées de l’exercice quotidien du pouvoir.

Sans prétendre aboutir à une Civic Tech complète, nous pouvons oser le saut générationnel, et ignorer la phase de maturation d’un régime démocratique classique, tel que défini par les « Lumières » franco-françaises. Nous avons l’opportunité de nous délester des dépendances idéologiques historiques et de nous extraire des us et habitus néo-coloniaux, en adoptant, aujourd’hui et maintenant, de nouvelles formes de gouvernance démocratiques. Nous bénéficions du cadre institutionnel nécessaire pour prendre des décisions incisives, sans demander aumône au temps et au cours régulier de l’histoire : Un Roi visionnaire et un processus décisionnel éloigné des intérêts politico-politiciens. Un pouvoir qui transcende l’instantanéité fantasmagorique des campagnes électorales. Nous avons aussi nos fameux hommes d’Etat pour y mettre la forme. Nous pouvons passer d’une démocratie représentative à une démocratie évaluative.

Notre parlement pourrait devenir une chambre d’auditeurs, formé de sociologues, historiens, anthropologues, psychologues, juristes, économistes, etc. Leur seul et unique rôle est de s’assurer de la bonne exécution des lois et à leur évaluation régulière. Des lois qui seraient proposées par un gouvernement issu d’un consensus makhzeno-élito-populaire, puis adoptées publiquement sur une plateforme digitale dédiée, par une large communauté de citoyens réunissant des femmes et des hommes de la société civile : milieu associatif, universitaire, économique, administratif, etc. Un gouvernement sans ministres, mais uniquement de « Grands chefs de projets ». Le mandat de chaque membre est légitimé par un programme d’exécution qu’il est sommé de présenter publiquement, en Live, de manière détaillée, sur l’ensemble des supports médias disponibles.

Quant à la démocratie locale, elle sera participative ou elle ne sera pas. Une démocratie de proximité qui pourrait être basée exclusivement sur le tirage au sort. Chaque élu serait ensuite évalué et noté annuellement par la population, sur des critères objectifs tels que l’efficience, la probité, l’engagement, l’innovation, etc. Le support de notation pourrait être assez simple. Il pourrait se greffer à la fiche d’imposition digitale que tout citoyen est censé compléter ; autrement dit : « je paye mes impôts et je note ceux qui les gèrent ».

Politique fiction. Fantasme. Inepties idéologiques. Peu importe comment seront interprétés ces propos. Ces propositions comportent des failles sur le plan idéel et technique. Mais je traduis la nécessité de révolutionner notre mode de gouvernance. D’être en phase avec ce que nous sommes réellement… d’être cohérent avec le réel. Assumer formellement nos paradoxes, nos faiblesses institutionnelles, conscientiser nos forces et oser le saut générationnel sur le plan politique et s’inscrire dans un futur décomplexé.

Aucun modèle économique ne survivra à la configuration politique marocaine actuelle. Elle n’est pas porteuse de sens. Elle est inquiétante, décourageante. Elle est castratrice de tous les talents qui souhaitent s’engager et se dévouer pour leur pays. Difficile de promouvoir un nouveau modèle de développement ou envisager une nouvelle vision économique, lorsque, et dans le paradoxe le plus destructeur, des personnes osent encore dire qu’ils quittent leur pays parce qu’ils l’aiment.

 

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Diplômé en Science Politique – Sécurité Globale – à l’université de Bordeaux IV avec une double masterisation en Intelligence et Communication Stratégique, Hatim Benjelloun est actuellement gérant associé du cabinet Public Affairs & Services

 

 

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