Ahmed Ouayach : "Il faut tirer les leçons du boycott et mieux organiser les filières agricoles"
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- 22 juin 2018 --
- Opinions
Dans cet entretien, le président de la Confédération marocaine pour le développement rural (COMADER) Ahmed Ouayach, expose les leçons à tirer de la crise de la filière laitière, consécutive au large mouvement de boycott qui a frappé le numéro 1 du marché Centrale Danone, laquelle a réduit de 30% ses collectes de lait.
M. Ouayach préconise une révision de l’organisation de cette filière et un traitement de la problématique de son marché pour protéger les efforts et le travail des éleveurs en vue d’assurer leurs revenus et aussi l’approvisionnement du marché.
La question laitière au Maroc a tenu une part importante dans l’assemblée générale de la COMADER… quelle est votre approche pour solutionner les problèmes de la filière ?
Nous considérons que le petit éleveur est celui qui paie le prix le plus élevé de ce qui se passe actuellement dans notre pays. Son produit n’est plus entièrement écoulé auprès de l’entreprise ciblée par le boycott (Centrale Danone).
Il faut savoir que 95% des éleveurs possèdent moins de 10 vaches, et que 80% en ont 3 au plus. Ce sont ces éleveurs qui sont le plus touchés, et ils seront amenés prochainement à vendre leurs bêtes à vil prix. Il est donc primordial de trouver de toute urgence des solutions pour venir au secours de ces petits agriculteurs sur lesquels repose l’ensemble de la filière et qui garantissent l’approvisionnement des marchés depuis de nombreuses années.
Quelles sont les leçons que vous avez tirées de cette crise, et applicables aux autres filières ?
Il est impératif de revoir l’organisation du secteur, des agriculteurs, de leur production et de leur rentabilité, et des mécanismes du marché. Tout cela affiche aujourd’hui une grande fragilité, et je ne parle pas uniquement de la filière laitière, mais de l’ensemble des filières informelles et/ou non organisées.
Quelles sont les décisions qui ont été prises lors de cette assemblée générale ?
En premier, la restructuration du tissu productif agricole national car ce qui s’est produit a mis les choses au grand jour, en ce sens que l’agriculteur ne s’appuie pas sur des organisations professionnelles fortes. Cela est désormais l’objectif unanime que la COMADER se fixe pour le reste du mandat actuel.
Nous avons aussi décidé de procéder à une évaluation du Plan Maroc Vert, mais selon la vision des petits agriculteurs, et aussi à une réflexion au sujet des idées à introduire et des solutions à apporter à la question de la commercialisation des produits du terroir.
Que pensez-vous faire, et comment, à propos de la restructuration des organismes professionnels agricoles ?
Il existe des structures existant depuis un demi-siècle, dont certaines n’ont pas tenu d’assemblées générales depuis 15 ans. A celles-ci, nous avons accordé un mois pour se mettre en conformité avec leurs statuts ; à défaut, la Confédération interviendra pour restaurer le droit, au besoin en créant des organes qui fonctionneraient de manière légale, tant sur le plan régional que national.
Par ailleurs, nous avons décidé d’apporter notre aide et soutien aux agriculteurs qui les demanderaient, sur l’ensemble du territoire. Et quand nous parlons agriculteurs, nous pensons à l’ensemble de la chaîne, producteur, industriel et distributeur. En effet, ce qui s’est passé pour le lait peut se produire pour d’autres filières. C’est pour cela que l’agriculteur doit être organisé pour faire entendre sa voix en cas de besoin, en cas de problème.
Quels sont les secteurs appelés à être restructurés ?
Il existe des secteurs parfaitement organisés, et d’autres qui sont en voie de l’être, par la création d’organes régionaux dans la perspective d’une organisation à l’échelle nationale. Il appartient à l’Etat de soutenir cette action car le Plan Maroc Vert s’articule autour du producteur, de l’agriculteur.
A quoi pensez-vous quand vous dites que le Plan Maroc Vert devra être évalué selon la vision de l’agriculteur ?
Cela signifie que l’évaluation devra être faite à deux niveaux, sectoriel et territorial. Sur ce dernier niveau, nous devons encore progresser. Sur le plan des filières, nous observons que les prix sont garantis et protégés pour le blé et le sucre surtout, à l’exclusion des produits de tant d’autres filières, comme l’olive par exemple, qui a commencé la saison avec un prix de 3,5 DH/Kg et qui en est aujourd’hui à 2,5 DH/kg. Pour le blé, en revanche, même si le prix est garanti, on constate que les progrès réels réalisés dans la filière ne profitent pas à l’agriculteur en premier.
Cela nous mène à parler de la problématique des prix et de la commercialisation. Comment allez-vous traiter cette question ?
Dans le cadre des textes régissant la politique agricole au Maroc, il reste un accord qui n’est pas encore signé, celui qui fixe les règles entre les différents partenaires dans chaque filière, et essentiellement producteurs et transformateurs. L’absence de cette structuration fait des filières concernées un corps dévertébré.
Un tel accord ne règlementerait pas uniquement les prix mais aussi les processus de collecte des produits et de leur commercialisation. Il s’agira d’une sorte de convention collective entre différents partenaires au sein de chaque filière. Ainsi, une fois ces accords signés dans toutes les filières, les choses seront plus claires et une meilleure vision sera offerte aux agriculteurs.
Propos recueillis par Mustapha Azougah (Mowatine.com)
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