Rétro n°20 - Une semaine folle, molle, drôle
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- 06 novembre 2018 --
- Opinions
La semaine n’est pas passée, elle ne passera jamais.
Lundi. Procès du conducteur du train de la mort, la presse est empêchée d’entrer dans la salle. Motif : salle exigüe, pas assez de places. Conséquence immédiate : Mauvaise humeur et gros remous dans les rangs des journalistes qui sont, enfin, admis à pénétrer dans la salle… pour apprendre le report du jugement et la nouvelle date. Alors donc, nos juges ont décidé de faire la besogne dans une petite salle, car il s’agit certainement d’une petite affaire : 7 morts, 120 blessés dans le déraillement d’un train qui roulait à trois fois la vitesse autorisée… que du banal, quoi… tout le monde est étonné que les journalistes rappliquent… Et pourtant, il n’y a strictement rien à cacher dans cette affaire, où tout est très limpide. Comme toujours, ou comme d’habitude.
Mardi. « Que ceux qui cherchent un chef de gouvernement en désaccord avec le roi aillent le trouver ailleurs ». Mais c’est excellent ça, M. Elotmani, où avez-vous trouvé cette très percutante formule ? Tiens, votre prédécesseur Abdelilah Benkirane avait dit pareil… Mais personne ne vous demande d’aller aussi loin, cher chef du gouvernement… personne ne pense à vous demander d’entrer en conflit avec le chef de l’Etat, vous l’êtes déjà avec votre partie et une grosse partie de l’opinion publique. On vous suggère, en revanche, juste d’être en accord avec les électeurs et, plus généralement, les Marocains. De vous trouver une place dans la Révolution du roi et du peuple, quoi…
Mercredi. De guerre lasse et très lassé et agacé après trois jours en tête à tête avec son homologue saoudien, le procureur turc a fini par lâcher le morceau : Jamal Khashoggi a été étranglé dès son entrée au consulat, et il a été découpé en morceaux juste après, « démembré » pour reprendre le mot du proc turc. On imagine ce dernier avec celui qui a le titre de procureur saoudien, un Torquemada des temps modernes (ailleurs qu’en Arabie saoudite) … Bon, les deux ont des chefs irascibles et préférant nettement la justice divine à celle des hommes mais tout de même, les Turcs essaient de soigner un peu les formes et Erdogan tente de rester dans les normes. Cela étant, et comme suite à l’invitation faite par Torquemada au procureur turc de se rendre en Saoudite, ce dernier devrait sérieusement y réfléchir…
Le Conseil de sécurité, au grand dam des Algériens, décide qu’ils sont de la partie, puisqu’ils sont une partie dans l’affaire du Sahara. Ils ont clairement pris parti pour le Polisario, aujourd’hui parti dans tous les sens. Brahim Ghali ne sait plus à quel saint se vouer, lui qui est désavoué par les siens pour ne pas être assez va-t’en guerre et rabroué par l’ONU pour avoir fait des moulinettes dans le coin. Suite au vote de la résolution résolue sur le Sahara, Messahel a mis, quand même, 20 heures avant d’aboyer son désappointement, Bouteflika n’a rien dit, parce qu’il ne sait plus où il en est ni ce qu’il en est… et le Polisario a hurlé, dans le désert.
Jeudi. Mustapha el Khalfi annonce de nouveaux horaires pour les écoles… mais à part ça, l’affaire a été mûrement et longuement réfléchie. D’abord pas d’horaires, puis une annonce samedi du MEN, puis une autre du même MEN en cours de semaine, puis celle d’el Khalfi. En voilà un gouvernement qui n’a pas froid aux yeux, au point de ne pas craindre de passer pour (encore plus) ridicule.
Mais l’objectif est atteint. Les élèves ne seront plus perturbés par les changements d’heure, juste par les changements d’horaires, de l’automne au printemps, du rural à l’urbain, des profs à une classe aux profs à deux classes… M. Amzazi est un génie. Mais un génie qui s’en fout, une espèce rare.
Vendredi. Et bien le corps de Jamal a été dissous. Finalement, les Saoudiens sont des gens intelligents. Ils ont parfaitement compris que quand on tue quelqu’un, il reste le corps, et que ce corps doit disparaître. Alors ils le démembrent pour le dissoudre. C’est en effet une grande intelligence : tuez, découpez, dissolvez, les trois commandements du tueur saoudien, mais même un tueur doit avoir un minimum d’intelligence, un seuil requis non atteint par les assassins. C’est sans doute pour cela que le procureur turc devrait gentiment décliner l’invitation de son homologue saoudien… Il doit encore rester un peu de soude en Arabie…
Le ministre Nasser Bourita est allé en Mauritanie, et il y a vu le maître des lieux ; à la sortie de l’antre présidentiel, il a dit ceci : « Nous avons discuté des relations bilatérales et des perspectives de leur développement ». Fichtre ! Encore un peu, et on aurait pensé qu’ils avaient parlé de l’érosion éolienne de la Grande Muraille de Chine, ou de l'héritage de Marie Curie. Notre diplomate souriant a aussi causé, deux jours avant, avec son homologue français Le Drian, et là aussi, ils se sont félicités du partenariat d’exception liant les deux pays. Les diplomates nous étonneront toujours par leur art de ne rien dire, en pensant le contraire.
Samedi. Football Leaks, les révélations absolument pas étonnantes sur les turpitudes l’UEFA du temps d’Infantino et de la FIFA à l‘ère d’Infantino. Mediapart et quelques autres font sauter la banque, si on ose dire : pour eux, « Infantino avait promis de lutter contre la corruption, mais a vraiment œuvré à ce que la corruption ne se voit pas » … Et la méthode Infantino est renversante d’astuce : « Il a nommé une procureure pour enquêter sur la corruption, mais sa véritable mission est qu’il n’y ait pas d’enquête ». Vous avez aimé Blatter et son hypocrisie ? Vous adorerez Infantino et sa sournoiserie.
La Mauritanie est pointée du doigt pour… pratique de l’esclavage. L’Arabie saoudite est à l’index pour moult raisons, entre autres des exécutions à la tronçonneuse ou au sabre, à tour de bras donc, sans jeu de maux… A l’ouest du monde arabe, on est esclavagiste, à son est, on est simplement tueur. Entre les deux, on est juste plus discret.
Dimanche. En Nouvelle Calédonie, les indépendantistes ont perdu leur référendum. Ils resteront en France, ils seront encore Français. Dans un monde incertain où des petits émergent et où les Grands, comme la France, plongent inexorablement, reconnaissons qu’il est quand même plus confortable d’être Français que livré à soi-même en plein milieu du Pacifique... avec 0,75% de la population du Maroc, les Néo-calédoniens font 10% de son PIB. Mais 46% d’entre eux ont malgré tout voté pour l’indépendance, et ils viennent en majorité des très mal nommées îles Loyauté. Leur insoutenable légèreté rappelle celle des habitants d’Anjouan, dans les Comores, qui avaient voté à presque 100% leur indépendance de la France en 1974, avant de demander 23 ans après leur rattachement à la même France. Qui avait refusé… Chirac n’était pas fou.
A la semaine prochaine.
Aziz Boucetta
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