Zoom n°3- La théorie du ruissellement de Macron éreinte et s’érode
« La paix n’est pas l’absence de guerre, c’est une vertu, un état d’esprit, une volonté de bienveillance, de confiance, de justice. » Baruch Spinoza
La manœuvre aura d’abord suscité, de manière attendue, l’ire des partis de gauche et des organisations d’aide aux migrants. On est mi-janvier 2019. Le président de la République française, Emmanuel Macron est depuis quelques semaines, depuis le 17 novembre précisément, sur la sellette. Le peuple de France – soit une bonne partie de la classe moyenne, voire moyenne basse, des travailleurs pour beaucoup, en compagnonnage avec une partie des plus précaires (une petite minorité, des chômeurs, intérimaires etc…), dans un mouvement qui aura suscité le soutien, selon les études d’opinion, de la quasi-totalité de la population (jusqu’à 80% d’opinion favorable au mouvement) – éreinté et fortement échaudé par une politique légitimement considérée comme favorable au seul capital et à ses intérêts, rappelle au monarque républicain la longue et ancienne tradition frondeuse du pays de Pierre-Joseph Proudhon .
Le mouvement, rétif à toute affiliation (partisane, syndicale ou de quelque autre nature), tisse ses premières ramifications dans cette agora de l’ère numérique, universelle et anarchique, qu’est internet. Le temps de la clandestinité étant bien révolu. Sans étiquette, entre citoyens, on y échange sur le quotidien, sur les difficultés à boucler les fins de mois, sur l’indignité à essayer de survivre au lieu de pouvoir vivre simplement du fruit de son travail, des cadeaux fiscaux faits aux riches, des taxes qui accablent dans le même moment les moins fortunés. Des groupes se forment. Les réseaux sociaux grondent. Le mécontentement social a déjà trouvé son expression virtuelle. Et sa cible aussi. Il faut dire qu’elle n’est pas discrète cette cible. Elle ne se donne pas la peine d’avancer masquée. Elle mène même son monde à la baguette. Marche forcée. La doctrine du pouvoir exercé par le « jeune » président Macron est simple. Libérer au maximum « les premiers de cordée » des entraves et contraintes qui les empêchent de produire plus de croissance au profit du plus grand nombre.
Pour ceux qui ne sont pas encore familiers du langage macronien, entendez : entrer dans la compétition fiscale, soulager les plus riches (une infime minorité) de ces impôts qui brident leur capacité à financer l’économie et les font fuir le pays. « Ceux qui ne sont rien », parfois trop paresseux pour juste traverser la rue trouver le travail qui leur tend les bras, gaulois obsolètes attachés à des avantages indus et réfractaires à toute velléité de réforme progressiste – c’est là encore, paraphrasée à peine, l’expression macronienne dans son jus – tireront profit de la démarche selon la brillante théorie du ruissellement. Exonérez les riches d’impôts. Ils investissent cet argent dans l’économie. C’est, en bout de chaine, tout à fait bénéfique à « ceux qui ne sont rien ».
La démarche n’a même pas le charme de la nouveauté nonobstant le visage poupon du chef qui l’incarne et sa virginité en termes d’expérience politique (entendue comme parcours dans une structure partisane et verdict électoral). D’une logique enfantine on vous avait dit. Au risque tout de même d’éroder ce qui en partie fonde le pacte républicain et démocratique : la nécessaire solidarité du corps de la nation à travers l’impôt. L’imposition assoit, en partie, la légitimité citoyenne. C’est dire le danger à vouloir en soulager certains ! Les plus nantis de surcroît. Et sans une logique et des raisons valables et acceptables pour tous. Cela devient même de la témérité, pour dire le moins, lorsque dans le même temps, le plus grand nombre, travailleurs modestes pour la plupart, harassé par un contexte économique des plus austères, est, de surcroît, sommé de déployer des efforts toujours plus lourds. Raréfaction des services publics, hausse des impôts et taxes, coupes budgétaires, réglementations nouvelles contraignantes et couteuses et/ou hors de prix pour les plus modestes (limitation de la vitesse à 80 Km/h sur les routes nationales, obligation de changer de véhicules pour répondre aux nouvelles normes environnementales etc).
C’est dans ce contexte que le président Marcon, fidèle jusque-là à sa méthode sans ménagement pour les corps intermédiaires, sourd à toute négociation et dans un geste imbu d’elle-même et arrogante, décide une nouvelle taxe sur les carburants sous le prétexte de lutte pour la préservation de l’environnement et de lutte contre le réchauffement climatique. Le feu aux poudres en somme. En réponse donc à cette énième taxe, perçue comme illégitime et injuste, de l’espace virtuel, la mobilisation se rend visible, avec fracas, dans l’espace physique. On connait la suite. C’est le mouvement des gilets jaunes qui depuis le 17 novembre 2018, défraie la chronique. La réponse du gouvernement Macronien tardera à se faire entendre. Dans les premiers temps, englué dans une tentative nauséabonde d’abord de pourrissement ensuite de diabolisation du mouvement complaisamment relayée par la presse et tentant maladroitement de l’assimiler à une pseudo peste « rouge brune », le gouvernement finira par descendre dans l’arène politique. Contraint et forcé. Par la popularité indéniable du mouvement dans son pays.
Par, concomitamment, la profonde défiance et la sourde colère à son encontre. Par le climat quasi-insurrectionnel qui, week-end après week-end, enflamme le pays, le président Macron, soudain taiseux et moins fanfaron, gardera le silence pendant longtemps dans l’espoir (vain) d’un tassement du mouvement. Il charge à ses lieutenants de descendre dans l’arène. Cela s’avérera insuffisant. Il lui faudra y engager tout son poids politique. Discours solennel à la nation, petites reculades, quelques rares concessions puis la trouvaille, la grande idée, censée gagner au gouvernement acculé le plus précieux des biens : du temps. Il s’agit du grand débat national. Soit quatre grands thèmes retenus par le pouvoir en place. Et les grandes manœuvres dans la manœuvre que nous évoquions plus haut.
Au cœur de la tempête politique, interpellé par des sollicitations que tous les observateurs sérieux auront su identifier comme une demande de justice sociale et de transparence politique (soit de la justice fiscale, et de la participation essentiellement) le gouvernement français louvoie et tente de noyauter l’interpellation. La vieille tactique du bouc-émissaire. Une interpellation éminemment sociale donc (à l’exception marginale d’une petite frange politisée à l’extrême droite) que le président dans la réponse politique qu’il est censé apporter au mouvement tente de noyauter par une question « nationale ».
Ainsi alors que les manifestations et les barricades (qui commençaient à s’ériger par moments) revendiquaient une plus grande justice sociale, le retour de l’impôt sur la fortune, l’abandon de la taxe sur le gazoil, l’instauration du référendum d’initiative citoyenne toutes mesures sociales et politiques, le président Macron instille, parmi les thématiques du grand débat national la question de l’immigration. Voila donc le vrai visage du candidat de la finance.
Mouhamet Ndiongue
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