Mohammed VI en phase(s)...
Par Aziz Boucetta
Vingt ans, un temps long pour les humains, un temps durant lequel ces humains changent inévitablement, évoluent avec le temps passé et évaluent le parcours effectué. Le 23 juillet 1999, le 23ème roi alaouite accédait au trône, et son arrivée coïncidait avec celle du 21ème siècle, siècle technologique, numérique et colérique. 20 ans après, disait Alexandre Dumas…
Des questions et des questionnements, des retards et des avatars, une société qui avance, remue souvent, regimbe parfois, rebelle toujours. En vingt ans, une génération nouvelle s’est ajoutée à celle de ses parents, mieux formée, plus informée et surtout moins formelle, exigeant des droits, du confort, de la dignité, et gagnant à sa cause les gens des générations précédentes.
C’est dans l’accompagnement de toutes ces évolutions, ici et ailleurs dans un monde globalisé où les réflexes durables et les politiques pérennes n’ont plus droit de cité que le règne de Mohammed VI a évolué, suivant trois phases distinctes. Chacune de ces phases s’est achevée par et en raison de mouvements d’humeur sociaux, et la suivante s’est enclenchée suite à une intervention/évolution royale.
Nous en sommes à vingt ans du règne du roi Mohammed VI et forcément, des phases s’en dégagent. De 1999 à 2019, bien des choses se sont produites dans le plus beau pays du monde, à un rythme plus ou moins décennal.
Phase I. De 1999 à 2010, la construction.
C’est la phase que certains désignaient en son temps, et à juste titre, par « Taza avant Gaza ». Cette période a été marquée par les grands chantiers en interne, principalement sociaux et économiques, avec un zeste de politique. Le roi prenait place et apprenait son métier, tout en prenant la mesure des immenses défis qui l’attendaient et les mesures qui vont avec.
En matière sociale, de marche en marche, de tension en contestation, la Moudawana a vu le jour. Quelque temps après, l’Initiative nationale pour le développement humain a été lancée, brassant des milliards et embrassant des populations entières. Les deux étaient perfectibles et se sont perfectionnées au fil du temps. Tout en restant, toujours, perfectibles.
Sur le plan économique, le Maroc se construisait, tout simplement. Pour les moins de 30 ans, cela ne se voit pas forcément au premier coup d’œil, mais pour les autres, le changement infrastructurel est spectaculaire. Routes et autoroutes, ports et aéroports, rail, CHU, administrations…
Le roi Mohammed VI est derrière tout cela, la parole rare mais la présence visible. La diplomatie, la politique extérieure et la politique intérieure ne sont alors pas la priorité. Les jalons sont quand même posés, avec le plan d’autonomie pour le Sahara en 2007 et l’apparition de nouvelles forces politiques, face au déclin du mouvement national, faute de combattants (dans les deux sens du terme) ; le PJD est désormais là, répondant à une demande au sein d’une partie de la population, et le PAM naît, pour répondre à la demande d’alternative au PJD de l’autre partie de la population.
Phase II. De 2011 à 2018, la constitution et la diplomatie.
L’histoire, on la connaît, et elle s’est inscrite dans l’Histoire. Printemps arabes là-bas, 20 février ici… la génération Y cherche sa voie et donne de la voix. Et veut se fait entendre, rapidement, très rapidement. Les revendications politiques étaient importantes, et tous étaient rejetés par la vox populi, excepté le chef de l’Etat, qui a donc répondu, un fameux 9 mars. Une nouvelle constitution, moins octroyée que les précédentes, plus participative. Le roi s’est lui-même dessaisi de nombre de ses pouvoirs et prérogatives, se laissant imposer la nomination cadrée et encadrée du chef du gouvernement, plus puissant qu’un vulgaire Premier ministre.
Puis des élections, le PJD qui les remporte, et Abdelilah Benkirane, chef des islamistes dits modérés, s’installe à la présidence du gouvernement. Le Maroc en est alors à ses balbutiements d’institutions représentatives. Débute alors une longue période d’empoignade politique, aussi stérile qu’inutile, voire futile, souvent puérile.
Mohammed VI, comme délesté d’un poids, s’en va alors à l’extérieur, multiplie les voyages et les discours, établit sa doctrine diplomatique où le Sahara devient partie d’un tout et non pas l’objectif final et ultime. Le discours de Ryad, celui d’Abidjan, puis de Dakar et, pour couronner le tout, le grand discours d’admission à l’Union africaine. C’est la phase de « Taza, Gaza et même Brazza ».
Pendant que les Marocains, en interne, s’habituaient à la démocratie et à voir un chef du gouvernement non révocable travailler, le roi se projetait à l’extérieur des frontières dans un monde qui se reconstruit après la grande crise de 2008 et les menaces terroristes qui s’affirment et se confirment. Le Maroc développe alors une diplomatie multiforme, politique, financière, économique, sécuritaire et militaire, religieuse et spirituelle.
Arrivent les élections locales et régionales de 2015 puis, plus importantes, les législatives de 2016. Le PJD rempile, malgré l’assistance virile prêtée au PAM, parti créé par celui qui était alors un ex ministre de l’Intérieur, et qui est devenu ensuite conseiller (spécial) du roi, Fouad Ali al Himma. Il s’en suit une longue période de blocage, où la classe politique montre de la manière la plus éclatante possible son incapacité à s’insérer dans la nouvelle constitution et à être à la hauteur de ses défis. Mohammed VI agit avec tact, convient des retards, prévient de leurs conséquences, puis fait une lecture de la constitution en révoquant un chef de gouvernement chef de parti pour choisir son numéro 2.
Lors de cette période, on a dit que le roi ne lâchait pas les rênes. Il avait raison : les politiques ne sont pas encore tout à fait au point, et la population aussi, prise par l’émotion et l’affect pour un chef de gouvernement plus tribun que trimeur. En parallèle, au cours de cette décennie, la communication royale a changé de forme, plus populaire, plus technologique, plus visible et visuelle.
Phase III. A partir de 2018, la révision.
20 ans de règne déjà, beaucoup de choses ont été réalisées, beaucoup reste à faire. Le Maroc est reconnu à l’international, mais traîne toujours, grave, dans les classements de développement humain. Les contestations se multiplient, ici et là, partout, de la part de tous. Si le Maroc s’est enrichi, avec un PIB multiplié presque par trois, sa population ne l’a pas été. Les riches sont plus riches, et les pauvres plus pauvres, plus nombreux, plus irascibles et plus remuants, dans une environnement géographique où les peuples lèvent le poing et haussent le ton.
Alors le roi s’est mis dans une sorte de retraite de plusieurs mois, et il est revenu. Transformé. L’heure n’est plus au quantitatif mais au qualitatif. Les laissés pour compte devront désormais être pris en compte et les autres rendront des comptes. La communication royale a encore changé, avec moins d’apparitions à l’étranger, moins de voyages officiels aussi, et disparition totale des selfies. A l’inverse, les discours sont plus solennels, bien plus apaisés mais porteurs de sens social et de conscience sociétale.
Mohammed VI, tout au long de la saison 2018-2019 a multiplié les réunions thématiques, sur l’agriculture, l’industrie, la formation professionnelle, et les jeunes, les jeunes et encore les jeunes. En effet, une nouvelle génération est arrivée, et une grande partie s’en est allée ailleurs. Ceux qui restent marmonnent et bougonnent. Il faut les prendre en considération.
Le lancement de cette nouvelle étape a été apporté de la manière la plus spectaculaire par le discours du trône 2019, où un grand chambardement est annoncé, daté et acté, pour la mise en place d’un nouveau modèle de développement où le qualitatif devra prendre le dessus sur le quantitatif, et où tout le monde est appelé à apporter sa contribution.
Il est temps que ceux qui doivent partir partent, et laissent la place à ceux qu'ils n'ont jamais laissé arriver. Le Maroc attend.
Commentaires