(Billet 1202) - Cette leçon en forme d’avertissement qui nous vient du Népal...

(Billet 1202) - Cette leçon en forme d’avertissement qui nous vient du Népal...

C’est un pays dont on n’entend pour ainsi dire jamais parler, un pays juché tout en haut de la montagne comme on l’appelle communément. Mais ce pays, comme tous les autres, connaît des problèmes, et ces problèmes ne sont pas sans nous en rappeler d’autres, similaires, dans d’autres contrées. Dont la nôtre. Là-bas, au Népal, la société a bougé, grogné, grondé, et le gouvernement a réagi, puis agi, en coupant internet. Les jeunes ont alors riposté, avec leur virulence coutumière de jeunes qui ne s’en laissent pas compter. Le problème est que les jeunes du monde entier réfléchissent et agissent de la même manière.

La suite, au Népal, on la connaît… assauts contre les édifices publics, traque des responsables, humiliation de certains d’entre eux, puis consultation large auprès de l’opinion publique pour désigner une ancienne présidente de la Cour suprême du pays. La génération Z était à la manœuvre, et la Génération Z, ce sont les trentenaires qui prennent de plein fouet la polycrise, ou permastrophe, que nous connaissons aujourd’hui.

Le Népal n’est pas le premier pays où les jeunes et moins jeunes se sont révoltés contre l’incurie et la corruption, contre le clanisme et le favoritisme, d’autres l’ont précédé : Iran, Chili, Nyanmar, Ukraine, France, Etats-Unis, Soudan, Turquie, printemps arabes… Mais le Népal est le premier pays à « numériser » l’élection de son chef de gouvernement, tellement la pression exercée par les jeunes était forte.

Au départ, au Népal donc, des problèmes économiques et sociaux. De l’ordinaire… des chantiers à la gestion douteuse et à l’adjudication scandaleuse, de solides soupçons d’enrichissement illicite, un chômage des jeunes inquiétant, un refus de l’émigration comme seule solution… Cela ne vous rappelle-t-il rien ? Ça devrait, pourtant…

Au Maroc, oui, nous avons des problèmes similaires, chômage des jeunes et explosion des NEETs, morale publique en berne et moralisation politique en souffrance, fuite des cerveaux en flux continu, soupçons de népotisme, des prix de produits de première nécessité qui montent, montent, montent... Et une classe politique tétanisée, ne sachant que faire, marmonnant ici et fanfaronnant là, attendant des élections qui, si rien ne change sur notre scène politique, reconduiront les anciens schémas des notables et des gens peu recommandables (ce qui parfois est pareil…), et donc alimenteraient les vieilles colères !

Le problème est que si la classe politique se reproduit, la population et sa frange jeune change, évolue. Elle est connectée et dynamique, ambitieuse, demandeuse et râleuse. On le voit dans les paroles déchirantes des rappeurs, dans les commentaires enragés des internautes, dans les haussements d’épaule dangereusement désabusés des jeunes, dans les chants survoltés dans les tribunes de stades… Et c’est tout ? Non, des actions commencent à apparaître de loin en loin, de montagnes en villes, de vallées en plateaux.

Voici quelques semaines, les habitants du village Ait Boughemaz, ulcérés d’attendre des équipements et des médecins qui ne viennent pas, ont décidé d’entreprendre une marche vers la ville voisine pour s’adresser directement au gouverneur ; signe des temps, les jeunes de la région réclament une connexion aux moyens de télécom... Ce week-end, la population en colère face à l’état de l’hôpital public d’Agadir, ont manifesté et observé un sit-in. Voilà quelques mois, des gens de Doukkala avaient bruyamment marché pour protester contre la pénurie d’eau. Internet aidant, le Maroc entier suit ces mouvements, les commente, s’en inquiète, montre de l’empathie, puis oublie… Mais cela commence à faire trop. « Le Maroc à deux vitesses » que critiquait le roi dans son discours du Trône passe à la vitesse supérieure.

La précarité et les inégalités énervent certes, mais ce qui irrite le plus est la réaction du gouvernement et de son chef. Dire que « tout va bien, Madame la Marquise » alors que ce n’est pas le cas est de nature à agacer, puis à crisper. Pas un mot sur ce « Maroc à deux vitesses », hormis un passage plutôt people de l’interview du chef du gouvernement à la télé.

En politique, il existe une chose qui s’appelle l’effet domino. On l’a vu dans les soulèvements contre les militaires en Amérique latine, avec l’Equateur puis le Pérou, et ensuite l’Argentine, et après les autres. On l’a aussi relevé dans ce qu’on avait appelé l’Automne des peuples, en Europe orientale dans les années 80 face aux régimes communistes d’alors, avec la Pologne en locomotive, suivie par les autres ; et puis, toujours en Europe, les « Révolutions de couleur » au début des années 2000, la Serbie ouvrant la marche. Et, bien évidemment, les Printemps arabes…

Aujourd’hui, les peuples s’observent et s’imitent. Et sachant que les mêmes causes engendrent les mêmes effets, que les peuples du monde entier souffrent encore des conséquences de la crise Covid, amplifiées par la guerre en Europe, et qu’au Maroc tout cela est aggravé par une sécheresse oppressante et un manque de perspectives pour les jeunes, il appartiendrait à nos gouvernants de tirer les conséquences de ce qui s’est produit au Népal.

Il serait erroné de croire que les jeunes ne s’intéressent pas à la politique ; ils ne lui font pas confiance, voilà tout ! Mais ils sont aussi engagés qu’enragés et c’est là qu’est le problème. Le Népal a montré une voie possible de contestation, il est important d’en tenir compte. Le roi a bien compris tout cela, à travers son dernier discours et la réaction immédiate du ministère de l’Intérieur.

Le problème, le vrai, seul et sérieux problème reste notre classe politique qui s’apprête et œuvre aujourd’hui à renouveler les institutions électives, sans penser à s’amender elle-même et à s’adapter aux exigences matérielles et morales de la population. Or, Internet fonctionne bien au Maroc, et plus de 90% de la population est connectée…

Aziz Boucetta

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