Ilyas El Omari, Monsieur antidote du PJD, par Mustapha Sehimi

Ilyas El Omari, Monsieur antidote du PJD, par Mustapha Sehimi

Trois heures d’entretien. Ilyas El Omari est un conteur. Il parle de tout : il explique, il plaide, il fait part de ses engagements – il veut convaincre. Voire.

Les interrogations ne manquent pas : tant s’en faut. Sur le PAM qu’il dirige comme secrétaire général depuis trois mois, il s’attarde sur le processus qui a conduit à la création de cette nouvelle formation. Au départ, il reconnait qu’il était très réservé à ce sujet. Il vient de la gauche radicale – un parcours passablement heurté durant une bonne décennie – et le marqueur de ce monde-là était plutôt l’  « activisme » de nature à nourrir des « foyers » de contestation et de cristallisation. Et puis, par suite du faible impact du MTTD (Mouvement pour Tous Les Démocrates) mis sur pied au début de 2008, a été opéré le passage à l’acte : la création du PAM. Il en a été la cheville ouvrière durant des années jusqu’à en prendre la tête. Le PAM c’est lui, une identification et une personnalisation qui en fait un « homme-institution ».

Il dérange, il détone dans le paysage politique national. C’est qu’il aide l’audace, le gout du risque et peut-être de l’aventure, une intelligence des situations qu’il exploite avec opportunisme, enfin une capacité manœuvrière. De quoi se déployer dans le champ de la rupture, croire de la transgression. Il dérange les codes et les usages d’une classe politique plutôt policée, marquée par des décennies de pratique dans les espaces ouverts à la compétition. Dans le « système »  certes, mais en bousculant la physiologie.

Sa position à l’égard de la mouvance islamiste est un précipité de ses engagements. Il vient de l’autre côté, d’un monde se réclamant du progressisme dans sa version socialisme radical. Il a eu le temps de se pénétrer des visées de la mouvance islamiste, de son référentiel, de sa stratégie et de sa tactique. Il estime, pour ce qui est du Maroc, que le PJD avance masqué et qu’il est l’une des expressions locales de l’idéologie des Frères Musulmans, Abdelilah Benkirane et les siens sont des « étatistes », à savoir l’accès et la direction du pouvoir suivant des modalités et des séquences. Le temps PJD – ou islamiste si l’on préfère – est bien distinct du seul agenda électoral : c’est un « temps long » qui enjambe les rendez-vous périodiques liés aux différents scrutins. Une différence, soit dit en passant, avec la mouvance d’Al Adl Wal Ihsan, qui, elle, priorise l’islamisation de la société optant ainsi pour la voie spirituelle.

Ilyas El Omari explique aussi que l’altérité du PAM avec le PJD tient à d’autres paramètres. Tel celui du dogmatisme où le PJD défend des textes qui sont bloqués au Parlement et ailleurs parce qu’ils mettent en cause des acquis et des avancées (parité genre, statut de la presse, rôle de l’associatif…). Tel encore la prévalence d’une culture hégémonique (« Attahkoum »). « Nous au PAM, on a dirigé des municipalités avec eux alors qu’ils n’ont pratiqué aucune ouverture avec les nouvelles collectivités locales élues le 4 septembre ». Il leur reproche aussi d’entretenir l’effervescence : une doctrine d’échauffement et d’exacerbation des problèmes et des contradictions pour leur permettre de se mettre en relief. Le calme plat les gêne ; ils lui préfèrent les flots tumultueux et les grosses houles. Et de donner des exemples d’actualité où le PJD a attisé les revendications et les contestations pour nourrir le tumulte et la turbulence – le comité de coordination des enseignants stagiaires ne compte-t-il pas six membres PJD ?

Il va plus loin en relevant, par ailleurs, que sur la question nationale du Sahara, il est difficile de trouver beaucoup d’  « activisme » dans les rangs du PJD. Quand Benkirane en parle, il lance un appel aux « frères algériens ». Dans tous ses déplacements à l’étranger, la question du Sahara n’apparaît pas comme une forte préoccupation. C’est que pour le PJD – et son référentiel culturel et religieux – c’est l’Islam et l’Oumma qui sont le crédo de référence : l’Etat-nation, le nationalisme ?  Relégués à un rang supplétif.

Ilyass El Omari ne s’embarrasse pas de la langue de bois : il se veut, lui et son parti le PAM, à découvert. Il s’est aussi taillé un profil à visibilité internationale, nouant des contacts avec Hassan Tourabi (Soudan), Mohamed Morsi (Egypte), les dirigeants palestiniens, sahéliens, africains, latino-américains. Il laboure au-dedans et au dehors. Il ose, il fonce, servi par une ambition personnelle, vibrionnant qui crispe tous les autres partis. Un « joker » du méchouar ? En tout cas, il assume pleinement ce rôle. 

Article paru sur Maroc Hebdo International, du 1er au 7 avril, pp. 22-23

 

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