Si M’Hamed Boucetta ou la politique telle qu’elle meurt de ne plus être, par Ali Bouabid
- --
- 21 février 2017 --
- Opinions
Si M’Hamed Boucetta nous a quitté. Qu’il repose en paix. L’émotion qui a entouré ses obsèques est vive mais néanmoins contenue. Tout se passe comme si l’inclinaison à laquelle nous porte ce deuil, est davantage au recueillement, à la sérénité, à la retenue … Du reste et un peu à l’image du tempérament de cet homme, dont le parcours aura montré que la modération peut être une vertu en politique. Car, et c’est là sans doute le trait le plus précieux, avec Si M’Hamed Boucetta, les divergences de vues sur tel ou tel sujet, n’altéraient jamais la considération que l’on pouvait avoir pour l’homme.
Surtout, nous portons aujourd'hui le deuil d’un homme d’Etat dont la dignité est grandie des épreuves qu’il a eu à traverser. De l’engagement résolu pour l’indépendance à celui pour la construction d’un Maroc démocratique, M'Hamed Boucetta a été de tous les rendez-vous qui ont marqué notre histoire récente. Ce double engagement, il l’a porté avec sagesse mais toujours de manière déterminée et dans la dignité. Nous lui sommes aujourd’hui redevables des fruits de cet engagement, fussent-ils encore verts.
Mais il y a bien sûr plus, dans ce qui se joue et se noue autour de ce deuil. Si M’Hamed Boucetta qui nous quitte, ne s’en va pas seul. Il emporte avec lui une certaine conception de l’engagement et de l’action politique dont il reste une des dernières figures marquantes. C’est pourquoi son deuil symbolise aussi la fin d’une époque dans laquelle la figure de l’homme d’Etat, mu par un sens du devoir historique qui le dépasse, occupait voire saturait le devant de la scène politique. Cette configuration historique particulière se payait d’une occultation de l’arrière-plan et des considérations individuelles qui l’animaient. C’était le temps ou le projet collectif gommait les aspérités individuelles.
Aujourd’hui, le temps s’est retourné comme un gant. L’essor des valeurs individualistes dans tous les secteurs de la société ont achevé d’investir le champ politique. Sauf, que nous n’en voyons pour l’heure, que le versant négatif et non le potentiel d’émancipation qu’elles renferment aussi. Et ce sont ces valeurs qui, dorénavant et dans leur version utilitariste débridée donnent le là et recomposent selon leur logique propre l’action politique collective. Ainsi en politique, comme ailleurs, l’époque est à l’outrance et à la sécurisation des parcours individuels plus qu’à la promotion d’un idéal de société autrement que sur un mode rhétorique qui fait sourire. Cette inversion paradoxale des logiques reflète le nouvel état des mœurs politiques. Elle est même souvent revendiquée comme La manière « efficace » de faire de la politique. Elle a ses militants, ses adeptes et ses méthodes. Il n’y aurait que les cassandres ou les naïfs pour penser le contraire et cultiver les illusions d’un passé à jamais révolu. Soit.
Reste que, sans s’abriter derrière une quelconque nostalgie vaine, et tout en prenant acte des exigences inhérentes à tout changement d’époque, il n’est pas interdit d’observer que pour l’heure, les manifestations de ce changement jettent une lumière crue sur une conception de « la politique telle qu’elle meurt de ne plus être ». On peut certes le déplorer, mais on peut plus utilement en tirer quelques enseignements, qui eux, sont intemporels.
Commentaires