Al Hoceima : l’épreuve identitaire, par Hatim Benjelloun
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- 03 juin 2017 --
- Opinions
Nous y sommes. Revenons quelques semaines en arrière, à quelques jours des résultats des élections législatives marocaines. Bon nombre de pronostiqueurs politiques et de parieurs forcenés, tablaient sur un soulèvement des marocains en cas de victoire du PAM aux urnes. Ils ont eu raison. A quelques détails près : ce n’est pas le PAM qui gouverne aujourd’hui mais le RNI (Oui soyons honnêtes avec nous-mêmes) et ses alliés. Comble ou ironie de l’histoire, l’homme du Sud du Maroc a supplanté l’homme du Nord...
Deuxième nuance : ce n’est pas un mouvement de tous les Marocains auquel on assiste, mais celui d’une ville, ou de toute une région diraient les plus audacieux. Si les pronostics étaient fondés sur d’autres analyses causales, le résultat est pourtant le même. Nous sommes aujourd’hui face à une crise sociale collective dont le névraxe se situe dans une des plus belles régions du Maroc, portée par une mémoire rugueuse et orgueilleuse.
Mes propos ne concernent nullement les motivations de Zefazafi, dont les médias et nos téméraires hommes politiques ont su – à l’insu de leur plein gré ? –f aire l’anti-héros idéal de ce mouvement. Je ne souhaite pas non plus disserter sur les perspectives d’avenir de cette région, appeléeà tort par la sphère médiatique, le «Rif », peuplée par des « Rifains » (je ne connais aucune ville ou région marocaine porter ce nom). A ne plus oser écrire, les journalistes écrivent sans juger de la portée de leurs mots dans l’imaginaire collectif. Le Rif, au sens politique et historique du terme, renaît et s’ancre à nouveau dans nos perceptions les plus inquiétantes.
Je reviens à ce qui m’intéresse : la crise (ou l’« hystérie », chacun choisira le mot qui lui sied) identitaire collective sous-jacente. Chaque micro-évènement, chaque vidéo, chaque mouvement ou chaque image en relation avec la ville d’Al Hoceima, déchaine les passions et multiplie les diatribes sur la toile « digitale » (en effet, c’est bien là où tout se passe). Guerre de mots, guerre d’identités et surtout guerre de légitimités… les échanges sont houleux et les positions très tranchantes. Certaines voix, dites modérées, pensent panser les plaies à travers un discours démocratisant, et inscrivent le mouvement d’al Hoceima comme une forme d’expression libre. Ce discours est quasi-inaudible, voire lénifiant, défiant toutes les limites de la crédulité humaine.
Alors je me réfère à mes chers pronostiqueurs de départ et je nuance. Les dernières élections législatives ne préfiguraient pas nécessairement de mouvements sociaux, de manifestations ou de soulèvements populaires, mais portaient les germes de ce que je souhaiterai appeler un « malaise identitaire ».Si on tapote un peu sur Google pour tenter de trouver une origine sociologique à cette expression – mis à part une floraison d’article sur l’islam en France – on peut trouver quelques analyses intéressantes, et les plus crédibles associent tout « mouvement identitaire », qu’il soit inclusif ou exclusif, au concept de « nation ». C’est là où je veux en venir…
Le concept d’Etat-Nation marocain est une création très récente post-coloniale. Le père de la Nation marocaine, le roi Hassan II avait concocté une sorte de trinité institutionnelle (Monarchie – Etat – Nation) qui a conditionné l’évolution politique, économique et sociale de notre pays depuis plus d’un demi-siècle.
Si certains politistes théorisent la durée de vie moyenne d’un système politique à 50 ans, avant sa transformation ou sa disparition, alors je peux légitimement poser la question : le système d’Etat-Nation dans sa forme post-coloniale ou occidentale, n’est-il pas en train de connaître ses limites au Maroc ?
Si je reste convaincu que la monarchie marocaine prépare – qui va piano va sano – les bases d’une nouvelle ère institutionnelle, les meurtrissures et les stigmates sont aujourd’hui plus que visibles. Symbolisé par des discours populistes localistes (Rif) ou hégémonistes (islam), le malaise identitaire mérite son analyse et ses analystes, non pas pour faire de la sociologie de comptoir mais pour crever ce ballon de baudruche anxiogène associé au mouvement Hirak !
Ma position est claire : les évènements d’al Hoceima ne sont en aucun cas une menace pour notre monarchie mais au contraire une opportunité de taille pour celle-ci. Si nos analyses sont à la hauteur de notre maîtrise de l’espace-temps (autrement dit pas grand-chose, ou alors à très très court terme) nous ne pouvons cerner avec justesse la mécanique sociale, politique et institutionnelle qui sous-tend certains choix royaux : vision africaine renforcée, proximité avec les autres monarchies arabes, proximité avec le peuple marocain (surtout à l’étranger), régionalisation avancée, etc.
Seul l’écosystème monarchique, dans sa dimension symbolique et non physique, peut transcender l’histoire et l’espace géographique pour comprendre et saisir le jeu multiple et feuillu des identités marocaines. Celles-ci peuvent être représentées par une infinitéde calques qui se juxtaposent depuis plus de 12 siècles. La monarchie, quant à elle, pourrait être représentée par ce « papier translucide » qui porte nos identités plurielles, parfois dans un sens précis et cohérent de l’histoire, parfois au gré des accidents et des vicissitudes.
L’essence de notre monarchie est justement la transcendance des espaces-temps sociaux, culturels et politiques. La monarchie marocaine restera, dans un imaginaire collectif atemporel, cette colonne vertébrale « homéostasique » qui ne connaît ni frontières ni territoire (L’Etat-Nation deviendra peut-être une simple étiquette institutionnelle factice ou protocolaire). Une monarchie qui ne reconnaît pas la pluralité des identités car elle s’y confond. Elle est africaine, musulmane, arabe, méditerranéenne, chérifienne, sahélienne… aucun ne peut figer l’identité ou l’essence de notre monarchie. Insaisissable, elle sait convaincre chaque Marocain qu’elle est une parcelle, assumée ou non, de son identité. Si nous saisissons cette dimension transconceptuellede la monarchie marocaine, il serait vain de continuer à l’opposer à la démocratie ou à tout autre concept politique dit « universel ».
Les inquiétudes ne sont qu’agitations de l’esprit, les tentatives de déstabilisation sont vaines, les discours diviseurs ne sont qu’hérésies… Assumons la complexité et la fragilité de nos identités. Elles ne sont ni monolithiques ni dogmatiques, elles sont subtiles, nuancées et à la limite de l’ambiguïté.
Aux débatteurs et aux producteurs de sens : recadrez le débat sur les impératifs économiques et les urgences sociales qui perturbent nos fondamentaux et qui nécessitent des réponses urgentes sur le plan humain et social. Au-delà des étendards, des symboles et des enracinements territoriaux, la monarchie est, et restera l’étalon de cohésion de la multitude et du complexe.
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