Al Hoceima, le Roi en recours, par Aziz Boucetta

Al Hoceima, le Roi en recours, par Aziz Boucetta

Après 7 mois de manifestations et de contestation, après plusieurs arrestations, des revendications non (ou mal) entendues et un immense malentendu, al Hoceima est une affaire qui a trop duré. Et qui commence à faire mal, ici et ailleurs. Le 11 juin est une date charnière, avec un avant, dans le Rif, et avec un après aussi, dans la capitale. Car il y aura un après ce 11 juin où des dizaines de milliers de personnes ont défilé dans les rues de Rabat en soutien aux revendications des populations d’al Hoceima et région. Comment arrêter cela ?

Dans toutes les démocraties du monde, les anciennes essentiellement, il existe ce qu’on appelle les médiations institutionnelles, en l’occurrence les corps constitués et/ou élus, les associations, les partis politiques, les organisations syndicales. Ces relais concourent tous aux grands équilibres sociopolitiques, sont complémentaires dans leur action en remplissant des rôles définis.

Au Maroc, les différents intermédiaires disposent de la personnalité juridique, mais manquent  singulièrement de personnalité au sens commun du terme ; ils se sont laissés élaguer de l’extérieur par la complaisance au mieux et l’insignifiance au pire de leurs dirigeants, et ils ont été sapés par le bas du fait de l’inconsistance de leur discours. Or il est des phases dans l’histoire des nations où cette histoire s’accélère, et où les relais de toutes natures, ralentis par leurs pesanteurs internes, marquent le pas, et sont rejetés.

Or, la période actuelle est celle de l’accélération, portée elle-même par l’extension de la communication, l’immédiateté de l’information, et l’instantanéité des réactions, avec des centres de médiation toujours tétanisés et inactifs, inefficaces. Le Maroc n’est pas le seul pays du monde où la population bout et s’ébroue. En France, le Mouvement En Marche! du président Macron  a balayé les formations traditionnelles, aux Etats-Unis, Donald Trump doit sa victoire à sa guerre déclarée contre l’establishment, en Espagne, Podemos est en passe de surclasser les deux partis qui alternent au pouvoir depuis 40 ans. Et Syriza en Grèce, et le Brexit britannique… Partout dans le monde, l’opinion publique demande plus, exige davantage. Et le dit haut et fort, chaque pays ayant ses spécificités et chaque société étant animée par sa dynamique propre.

Au Maroc, démocratie jeune qui apprend juste à tenir sur ses jambes, la contestation s’installe, dans un mouvement social qui s’étend de plus en plus, faisant tache d’huile sur laquelle les corps intermédiaires ont glissé. Et ce ne sont plus les seuls habitants d’al Hoceima qui protestent, le reste de la population aussi, chacun à sa manière, chacun depuis sa position : ceux qui battent le pavé, ceux qui les suivent dans leurs écrans, ceux qui marmonnent dans les salons et ceux qui sermonnent la classe politique dans son ensemble.

Que demande le peuple ? A part le pain incertain et les jeux politiques, le peuple réclame de la dignité, c’est-à-dire d’être écouté et respecté, avec une meilleure répartition des richesses du pays, autrement dit des programmes de développement qui ne viendraient plus du haut, mais qui émaneraient du bas. Autrement dit, un nouveau pacte social, repensé à l’aune des défis qui se posent et de la génération Z (années 90) qui arrive sur le marché du travail.

Le gouvernement a bien essayé de réagir, sur instructions royales dit-il, mais les ministres dépêchés à al Hoceima se sont heurtés à un mur d’incompréhension, puis sont repartis à Rabat. Rousseau disait que « le corps politique est sans passions et il n’y  a point d’autre raison d’Etat que la raison même » ; or, dit le même Rousseau, « le peuple a toujours raison ». Si ces deux raisons devaient converger, en dehors de la très visible « non passions » des corps politique et de médiation, on trouverait à leur confluence l’Etat. Qui a un chef. Qui écoute, qui comprend, et qui agit.

Aujourd’hui, en 2017, on peut dire que le Maroc connaît une réplique du séisme du 20 février, mais une réplique forte qui requiert une remise à plat des politiques de développement, dans un souci d’équité. Cette réplique revendique également une approche plus globale, sociale, économique, non politique, comme cela avait le cas du temps du 20 février. Mais elle peut le devenir.

En plus des problématiques de l’enseignement, de la santé et de la justice, et dans un pays aussi ancien et à la diversité sociale et ethnique aussi variée, une relecture de l’Histoire nationale devient également  et subitement prioritaire, afin que nous n’entendions plus ces accusations de sécession et d’irrédentisme lancées à l’emporte-pièce par les uns, et déclenchant immédiatement en réaction la levée de symboles équivoques par les autres.

Tout cela doit être pensé, conçu, initié et mis en œuvre, en théorie du moins, par des institutions publiques nationales caractérisées par l’efficience de la décision et  l’efficacité de l’action, dans la durée et dans l’espace. Il n’existe pas au Maroc de telles institutions, à l’exception d’une seule, celle du Roi. De plus en plus de voix s’élèvent pour demander une intervention du chef de l’Etat, seul personnalité publique à la légitimité totale et à la popularité inégalée. Il est aussi l’unique responsable du pays à pouvoir engager les mesures adéquates, là où c’est nécessaire, et avec le timing, et surtout la crédibilité, requis.

C’est ce que demandent les Marocains du Rif depuis des semaines, depuis que les partis de la majorité les ont malmenés en les accusant de séparatisme ; c’est ce que demandent les Marocains vivant ailleurs qu’au Rif depuis qu’ils ont vu que les gens du nord inscrivaient leur mouvement de contestation dans la durée.

On dira, on a dit, que faire cela exposerait le chef de l’Etat à se plier à d’obscures exigences de non moins obscurs individus, animés par d’obscurs desseins.  Non, faire cela, pour un chef d’Etat le grandit encore plus, et au Maroc, faire cela montrerait de la façon le plus éclatante, maintenant que le pays est surmédiatisé à l’international, que le Maroc est vraiment une exception. Et que sa monarchie est, pour tous les grands problèmes, la solution. En attendant la rémission des relais et autres corps intermédiaires pour qu'ils puissent remplir leur rôle institutionnel.

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