Boycott contre boycott, crise contre crise, Akhannouch contre Akhannouch, par Hatim Benjelloun
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- 07 mai 2018 --
- Opinions
Un coup de génie. Une symphonie guerrière. Rubicond social, rubicube politique. Machia-populisme. Indignation. Réveil des consciences. Vengeances, allégeances et « bien-pensance ». Emulsion sociale. Le Maroc est à la pointe de l’innovation contestataire. Honnêtement, je n’ai aucunement la prétention de détenir la vérité sur les causes et causalités de ce phénomène. Ma seule certitude : la genèse de ce boycott est politique et politicienne. Le choix des personnes visées est criant de vérité. Indiscutable.
En revanche, les conséquences, l’évolution et les ramifications, constamment renouvelées, de ce mouvement « virtuel » nous donnent une bonne leçon de sociologie ! Elle peut nous révéler tous les secrets sur l’avenir économique, politique et social de notre pays. Dans ce bruit qui pense, j’aimerais m’intéresser aux interprétations silencieuses de cette vendetta digitale.
Tout d’abord, ce boycott me semble être avant tout une réponse, certes un peu tardive, mais naturelle d’un autre boycott. Celui de notre classe politique vis-à- vis des sujets de Sa Majesté. Quelques litres en moins, fussent-ils lactiques, hydriques ou carboniques, ne sont rien face à la soustraction des droits élémentaires des citoyens, mis en équation avec la multiplication des biens et des privilèges de nos élites. Une élite politique qui, durant des décennies, a boycotté la voix et les espérances des marocains. Boycott contre Boycott.
Alors, Ô peuple marocain, ton boycott est bien diminué. Il est, certes, médiatiquement jouissif, mais il ne sera qu’une goutte dans un océan de réelles revendications. Le discours, criant de sévérité, du Roi sur notre classe politique est, à mon sens, bien plus courageux que des slogans anti-marques. Alors quitte à boycotter, boycottons ce qui nous crée de la souffrance au quotidien, ce qui nous humilie, ce qui nous fait honte… Boycottons la corruption qui noircit l’âme de notre pays. Boycottons ce système sanitaire, plus mercantile qu’utile. Boycottons notre système éducatif qui atrophie plus qu’il n’émancipe. Boycottons la politique politicienne qui marchande nos voix au profit d’intérêts privés. La bataille actuelle sur les réseaux sociaux est légitime. Les cibles et le champ de bataille sont mal choisis.
D’autre part, je m’interroge sur un phénomène qui accompagne ce phénomène : la course à l’analyse et au commentaire (Je vous rassure, je porte le dossard aussi). L’instantanéité. Les égo-intello- trips. L’expertise improvisée. Les experts industrialisés. Les réseaux sociaux foisonnent de communicants. De gestionnaires de crises. De sociologues éditorialistes journalistes et bouquinistes. Honnêtement, quelles importance que les entreprises visées par le boycott sachent communiquer ? Gérer une crise, c’est d’abord évaluer les priorités. Et la priorité n’est certainement pas à la communication de crise. Car, cette fois-ci, c’est la crise qui communique. Crise contre crise.
Que peut répondre une entreprise face à un mouvement social amorphe, armé de mobiles économiques et exprimant des opinions politiques ? Ce boycott n’est pas classique. Je dirai même très rare. Généralement, les boycotts de produits de consommation se font pour des raisons morales ou éthiques, et très peu pour des raisons tarifaires. Enfin oui, dans un seul cas, mais cela s’appelle le libre-marché ou la libre consommation.
Je ne vous apprendrai rien : nous sommes aujourd’hui face à une crise structurelle. Les réponses doivent être conséquentes, sérieuses et crédibles. Avec le sens de l’anticipation, notre Roi nous interpella il y a quelques mois pour penser et déployer un nouveau modèle de développement pour le pays. Depuis, hormis quelques lapalissades politiques, nous sommes encore à nous chamailler sur les « vrais » chiffres du chômage.
Mais finalement, le peuple s’y consacra. Voici les prémisses d’un modèle de développement, issu de la base : l’expression « populaire » comme outil de pression sur le marché. Si la main invisible d’Adam Smith s’est fait tordre le poignet par certaines oligarchies, la main visible du peuple marocain semble désormais mieux gantée. A nos judicieux experts de formaliser ce modèle dans un joli power point. L’innovation économique s’impose à nous.
Enfin, j’aimerais, et j’ose m’y aventurer, porter réflexion sur la personnification de la cible du boycott. J’ai lu, entendu, par ci par là, que Aziz Akhannouch serait mort politiquement. Méfiance vis-à- vis des évidences. Elles sont loin d’être évidentes dans la matrice politique marocaine. La capacité de nos hommes politiques à se renouveler est extraordinairement tenace. Premièrement, le désintérêt grandissant de la population marocaine pour la politique fait que tout homme politique est interchangeable, le pouvoir restant, en grande partie, entre les mains rassurantes du Roi. De fait, Akhannouch 2021 est encore « politiquement » possible. Deuxièmement, la popularité de ce personnage est difficilement mesurable. Les réseaux sociaux sont loin d’être porteurs de vérité électorale. Comme pour toute personne clivante, opposants et partisans créent le sentiment de vérité absolue dans leurs camps. Les algorithmes facebookiens sont affreusement illusoires. De fait, Akhannouch 2021 est encore « électoralement » possible. Troisièmement, Akhannouch, homme du Roi ? Pas sûr de cette assertion. La Monarchie transcende les personnes et les contextes. A mon sens, la Monarchie peut proposer, soutenir ou accompagner des « grands projets », mais ne crée que très rarement des dépendances humaines. Seule la capacité d’Akhannouch à ajuster sa stratégie et à maintenir le cap pour 2021, auprès de son camp politique et auprès de la population, lui assurera ou non la bénédiction. Bénédiction ne faisant pas loi. De, fait Akhannouch 2021 est encore « techniquement » possible.
L’opposition n’est certainement plus entre le peuple et Akhannouch, mais entre l’homme d’affaires et l’homme politique. Un dialogue s’impose entre les deux hommes. Un dialogue franc et honnête. Akhannouch contre Akhannouch. Leur association n’est pas impossible et certainement pas anti-démocratique. De nombreuses démocraties sont dirigées par des hommes d’affaires, la première puissance mondiale en tête de peloton. Le problème n’est pas l’homme. Ce sont les règles de fonctionnement de notre champ politique, factice, et de notre économie, anomique, qui doivent changer. Nous manquons de garde-fous institutionnels, censés garantir l’éthique et la morale en politique, et assurer une concurrence loyale sur le marché. Voilà, peut-être une des clés d’un nouveau modèle de développement, et peut-être un chapitre important dans un programme politique.
Il est en revanche devenu impossible de continuer à sanctuariser la technostructure qui dirige notre pays. Elle est, à mon sens indispensable mais elle doit désormais s’accommoder des pratiques démocratiques et se forcer à s’ancrer dans le réel.
Ce boycott ne serait finalement qu’une lutte, ou peut-être une forme de dialectique marxiste post- moderne, entre l’expression populaire, fut-elle juste ou injuste, et la pression technocratique, confiscatoire de tous les pouvoirs. Le juste équilibre entre ces deux faces d’une même médaille est peut-être une des autres clés d’un nouveau modèle de développement.
L’issue de ce boycott est incertaine. Il nous dévoile néanmoins le déphasage entre le réel social vécu et le virtuel digital perçu, entre l’élite bien-pensante et le peuple mal-pensé, entre les nantis et les antis, entre une classe politique intéressée et une jeunesse désabusée, entre une économie de rente insatiable et une économie réelle essoufflée… Mais il nous révèle surtout ce désenchantement dévastateur qui gagne notre société. A défaut d’utopies mobilisatrices, les marocains ont peut-être tout simplement boycotté leur capacité de rêver.
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Diplômé en Science Politique – Sécurité Globale – à l’université de Bordeaux IV avec une double masterisation en Intelligence et Communication Stratégique, Hatim Benjelloun est actuellement gérant associé du cabinet Public Affairs & Services
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