Au Maroc, convergence des luttes entre les contestataires… et le Roi ? (Sputnik)
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- 20 juillet 2018 --
- Opinions
Entre boycotts et manifestations, quel souffle pour la contestation qui secoue le Maroc, aujourd’hui ? Quelle réponse du Roi, qui s’en prenait, dans son discours annuel de l’été dernier, aux partis politiques et dont il faut attendre, fin juillet, un discours non moins sévère destiné à « mettre en avant son leadership moral »?
« La majorité gouvernementale n'est pas menacée. Et les relations entre ses différentes composantes se portent globalement bien, malgré les divergences ». Le chef du gouvernement marocain, Saadeddine El Othmani, se voulait rassurant dans sa réponse à un journaliste qui évoquait les tensions entre son parti, le PJD (Parti de la justice et du développement, d'affinité islamiste), et le RNI (Rassemblement national des indépendants, de centre-droit).
L'existence de la crise serait ainsi contestable au sein du gouvernement. Elle serait un peu plus palpable, en revanche, dans la rue. À Casablanca ou à Rabat, des milliers de personnes ont battu le pavé ces derniers jours. En cause, des peines allant jusqu'à 20 ans de prison prononcées, le 26 juin dernier, contre une cinquantaine de militants du Hirak du Rif. Ce mouvement a mené et accompagné, pendant plusieurs mois, une vague de manifestations dans cette région frondeuse du Nord marocain, à la suite de la mort d'un jeune poissonnier, broyé dans une benne à ordures.
Autorisées par les autorités, les manifestations contestant les peines demeurent « un indice sur la bonne santé de la liberté d'expression au Maroc », tempèrent dans les médias marocains et internationaux les proches du pouvoir marocain, alors que des responsables politiques, à commencer par le chef du gouvernement, espéraient à demi-mot, une rectification du tir.
« En tant que citoyen marocain, je ne souhaite la prison ni aucun malheur à aucun de mes compatriotes. Mais là, il s'agit de jugements, et la justice est indépendante de l'Exécutif. En tant que Chef du gouvernement, il m'est interdit, par la loi, d'interférer dans la justice […]. J'espère que les choses vont s'arranger à l'avenir. Aujourd'hui, il y a différents degrés de juridiction, l'appel et puis la cassation. Espérons que les choses aillent vers le mieux », a glissé Saadeddine El Othmani.
Nommé il y a un peu plus d'un an à la suite de la tombée en disgrâce de son prédécesseur Abdelilah Benkirane, El Othmani hérite du dossier rifain et voit, sur le plan des revendications sociales, s'ouvrir d'autres fronts. Au mois d'avril, une campagne de boycott a pris naissance dans les réseaux sociaux et fait des ravages… Au point que le gouvernement, qui sous-estimait au début l'ampleur du mouvement, a dû se résoudre à prendre les boycotteurs tantôt par la pédagogie, tantôt par les sentiments, leur expliquant que les pertes allaient se répercuter, in fine, sur des familles marocaines.
Pour Emmanuel Dupuy, président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), « ces différents remous, aussi bien le boycott que la contestation des peines du procès des militants du Rif, vont s'alimenter les unes des autres à la faveur d'un climat générique de tensions. À travers chacune de ses manifestations, la jeunesse marocaine entend clairement envoyer un message : montrer le hiatus existant entre pouvoir perçu et réalité du pouvoir ».
Ces contestations peuvent-elles s'inscrire dans la durée ? Le boycott, en tant que politique de contestation, ne faiblit pas. Il entame son quatrième mois, malgré des appels à un moratoire. Mieux, ou pire, selon les points de vue, il s'étend. Fin juin, le célèbre festival musical Mawazine s'est tenu sur fond d'appel au boycott, les Marocains étant d'ailleurs divisés sur le succès de ce mot d'ordre.
Concernant l'affaire du Hirak du Rif, les manifestants, soutenus par des partis de gauche comme le Parti socialiste unifié (PSU), affirment ne pas en démordre… jusqu'à l'obtention de l'acquittement des accusés. Par ailleurs, le comité de défense, arguant de plusieurs « irrégularités » qui auraient émaillé ce procès « politique », a interjeté appel des peines prononcées. Une procédure qui prend habituellement plusieurs mois. Entre-temps, prédit Emmanuel Dupuy dans son entretien avec Sputnik,
« La mobilisation de la jeunesse sera maintenue de manière résiduelle, sans qu'il y ait d'éruption. Elle se poursuivra tant que la jeunesse et cette société civile non institutionnalisée seront acculées à choisir entre le PJD et d'autres partis politiques jugés trop conservateurs et pas assez réformistes qui n'incarnent à leurs yeux ni la légitimité ni l'alternative ».
Fait remarquable, cette jeunesse marocaine ne serait pas la seule à remettre en cause les partis. Dans son discours du Trône de l'été 2017, Mohamed VI s'en prenait, dans un discours sévère, à l'attitude des partis politiques marocains, qui ne seraient pas en symbiose avec « les aspirations et des préoccupations réelles des Marocains ».
« Il faut, d'ailleurs, regarder avec beaucoup d'attention le discours du Trône de cette année, qui sera prononcé fin juillet, et voir le leadership moral que le Roi va mettre en avant. Ce sera, au moins, aussi sévère que celui de l'année passée », estime Emmanuel Dupuy qui n'exclut pas, le renforcement des contestations aidant, que le Roi puisse franchir le Rubicon, en donnant le coup de grâce au Gouvernement. Objectif de ce coup politique, toujours selon Dupuy, « se démarquer d'un gouvernement en hiatus avec les aspirations des Marocains ».
« Le PJD était utile au Roi à un moment où il devait montrer que, contrairement à d'autres pays (Tunisie, Égypte), la contestation sociale au Maroc obéissait à une logique évolutionnaire et pas révolutionnaire. C'est dans cette logique qu'il a permis à ce qu'on pensait être le rouleau compresseur islamiste qui balaierait l'Ancien Monde politique dans les pays du printemps arabe, de coexister avec la monarchie. Aujourd'hui, il pourrait être à la recherche d'une troisième voie ».
Se frayer une voie entre le PJD et la sclérose des familles politiques habituelles pourrait passer par la case « Istiqlal ». Un vieux parti, certes, mais « en phase de toilettage de son image », avec l'élection, l'automne dernier, de son nouveau secrétaire général, Nizar Baraka.
« Une forte personnalité détentrice par le passé de maroquins techniques, économiques et financiers, et associés à des plans et réflexions autour de la régionalisation, la décentralisation approfondie, ou l'autonomisation des provinces du Sud. Il n'est pas exclu que dans un contexte où le Maroc joue la carte de la subrégionalité, aspire à une attraction internationale et œuvre à donner une image plus inclusive en lien avec sa profondeur africaine, que l'on cherche une sorte d'impulsion à travers ce personnage », conclut Emmanuel Dupuy.
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