Zoom n°11 : Algérie et Soudan : les répliques du printemps arabe
Les soulèvements populaires en cours en Algérie et au Soudan ont amené les pays à se regarder et ont laissé des observateurs et des analystes incapables d'éviter les comparaisons. Ces comparaisons sont effectuées soit entre les slogans, les objectifs et les forces actives dans les soulèvements, soit entre les conséquences, les résultats et la manière dont les autorités gèrent les deux soulèvements majeurs dans les deux pays.
Les deux soulèvements ont eu lieu dans un contexte socio-économique assez similaire, à la suite de la nomination de leurs présidents après des mandats prolongés, après de très nombreuses années de mandat (Bashir pendant 30 ans et Bouteflika pendant 20 ans). Les deux pays sont confrontés à des conditions de vie difficiles et à l'incapacité du gouvernement de répondre aux besoins minimaux de la population et à la nécessité de vivre dans la dignité. Les deux pays ont connu la guerre civile (l'Algérie dans la décennie noire et le Soudan dans la guerre avec et sur le sud, ainsi qu'avec le Darfour.
À la suite des soulèvements, les dirigeants ont des offres qui vont dans le sens de plus de prospérité à leur population. Mais c'était trop tard et cela n'a pas apaisé les masses en colère, mais a plutôt soulevé des questions fondamentales dans les deux pays: que pouvez-vous faire pendant un nouveau mandat que vous n'aviez pas pu faire par le passé? Si vous pouvez tenir toutes ces promesses, pourquoi ne les avez-vous pas offertes qu'après qu'un flot de masses en colère a envahi les rues et les places?
En l’espace de quelques jours, les deux pays ont vu leur président depuis vingt ans en Algérie, trente ans au Soudan, poussé vers la sortie par l’armée, sous pression de la rue massivement mobilisée. Au Soudan, le chef militaire qui s’était proclamé Président provisoire a lui-même démissionné au bout de 24 heures ; tandis qu’en Algérie, un semblant de processus constitutionnel a été enclenché, avec un scrutin présidentiel fixé au 4 juillet. Malgré les promesses des élections libres par le président par Intérim, Bensalah, la rue ne se démobilise pas et rend hypothétique les prochaines joutes électorales.
Le parallélisme entre les deux pays est suffisamment fort pour en extirper une différence. Toutefois l'Algérie et le Soudan ont des trajectoires historiques différentes.
Dans ces deux pays, plusieurs remarquent des similitudes existantes pourtant : le première remarque est que l’impossible a été rendu possible. Personne n’aurait parié sur la chute de ces deux chefs d’État à la tête de régimes prêts à tout pour assurer leur survie. Mais la ténacité et l’unité des manifestants ont fait basculer l’histoire.
La deuxième remarque est que les révolutions sont non-violentes. A Alger, non seulement les cortèges sont pacifiques, mais ils nettoient eux-mêmes les rues après leur passage. Vendredi dernier, alors que les forces de l’ordre étaient plus pressantes, les manifestants ont bien pris soin de ne pas riposter, pour ne pas donner prétexte à la répression. C’est plus impressionnant encore au Soudan, pays où les rébellions armées sont nombreuses : les manifestants sont restés pacifiques alors que la répression a fait plus de cent morts.
La troisième remarque, enfin, l’intelligence politique remarquable des manifestants. A Alger, ils ont déjoué tous les pièges des reculs successifs du pouvoir, ne se contentant pas de la victoire devenue symbolique du départ d’un Président qui ne présidait déjà plus. Et ils refusent aujourd’hui de laisser au système le soin de préparer tous seuls la succession.
Même maturité à Khartoum, où la chute d’Omar el-Bechir, un président poursuivi pour crimes contre l’humanité, n’a pas mis fin à la mobilisation. Au point que les Soudanais ont fait tomber deux présidents en deux jours, et sont toujours dans la rue, faute de transition acceptable.
Algériens et Soudanais ont assurément retenu les leçons des échecs des printemps arabes. Le risque de violence est évidemment présent dans tout processus révolutionnaire, mais sans leader ou parti d’avant-garde, les manifestants, jeunes, éduqués, et incluant les classes moyennes, se sont donnés les moyens d’aller plus loin que leurs prédécesseurs des printemps avortés.
Mouhamet Ndiongue
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