Le monde s’est-il affolé ? Le Policy Center for the New South répond…

Le monde s’est-il affolé ? Le Policy Center for the New South répond…

Cette question est l’objet du livre de l’historien français Thomas Gomart, qui en a fait la présentation ce mardi 7 janvier au Policy Center for the New South à Rabat. A mesure des explications apportées, on comprend que le monde d’aujourd’hui n’est pas tant pris de folie que d’affolement (quoique…), dans le sens d’une bascule de l’Histoire, qui colle aujourd’hui à l’actualité. L’objet et l’objectif de cet ouvrage tournent autour du triangle Etats-Unis, Chine, Russie et des nouveaux défis et lectures que les politiques actuelles de ces trois puissances impliquent.

Thomas Gomart, directeur de l’IFRI (Institut français des relations internationales) et historien à la Sorbonne, explique que l’idée de son livre, et du titre qu’il lui a choisi, proviennent de trois éléments principaux, en l’occurrence la fin du mythe de la convergence (selon lequel la coopération économique entre Chine et Occident allait immanquablement se traduire par une convergence politique), la trajectoire suivie par l’Union européenne depuis le traité de Lisbonne en 2007 à aujourd’hui et, enfin, le parallèle à établir entre les deux phénomènes complexes que sont la diffusion technologique et la prise de conscience de la jeunesse.

Le monde est donc en mutation, voire même en ébullition, prévient l’historien qui, dans une pointe d’humour, recommande aux personnes dépressives de quitter la salle de conférence. Et de fait, il recense 10 enjeux géopolitiques qui transforment le monde, dont la Chine et son émergence depuis 2008, la politique américaine de Donald Trump et même un peu avant, les défis climatiques, la question des espaces communs (le maritime, le spatial et le cyber), les problématiques de la migration et de l’identité…

A travers ces enjeux géopolitiques dans un monde en changement aussi rapide que très incertain, M. Gomart s’intéresse à la triangulaire Chine/Russie/Etats-Unis, constatant que depuis l’effondrement du bloc soviétique à la fin des années 80, les Américains ont porté et supporté la Chine, tout en rabaissant la Russie, que Barack Obama avait qualifié un jour de « puissance régionale ». D’autres historiens ont appelé cela « la perte de la Russie par l’Occident ».

Mais ce que cet Occident n’a pas compris est qu’il y a eu une sorte de « convergence des humiliations » entre Moscou et Pékin, les Chinois n’oubliant toujours pas les humiliations du 19ème siècle et les Russes gardant en mémoire l’humiliation post-soviétique. Aujourd’hui, affirme Thomas Gomart, la situation mondiale confirme cette pensée de Fernand Braudel selon lequel « le capitalisme a besoin d’une hiérarchie pour exister », et que Pékin et Washington se disputent aujourd’hui cette hiérarchie, ce leadership. Il est vrai que l’Empire du Milieu veut conquérir la pole position mondiale (économique, financière et militaire) en 1949, pour le centenaire de la naissance de la République populaire…

 

Autre défi mondial, la Méditerranée, explique M. Gomart, avec cette montée en puissance des Russes et des Iraniens qui, avec la crise syrienne, ont progressivement mis un pied dans cette mer dont on dit que tout est parti, dans un « occidocentrisme » exacerbé mais pas si faux. Pour l’historien, la géopolitique méditerranéenne doit être appréhendée à travers les trois mers adjacentes que sont les Mers Noire, Rouge et Caspienne. Dans ces trois espaces et face à la présence confuse, voire brouillonne, de l’Amérique trumpienne, Moscou et Téhéran avancent leurs pions dans ce que Thomas Gomart appelle une « redistribution de la puissance », au-delà des questions régionales. Ainsi, avec la guerre en Géorgie en 2008 et l’annexion de la Crimée, la Russie s’est « approchée » de l’espace méditerranéen jusque-là essentiellement occidental, puis s’est durablement installée en Syrie, et cela se confirme avec le rapprochement entre MM. Erdogan et Poutine. Pour sa part, l’Iran s’impose progressivement au Liban, en Syrie, en Irak et au Yémen.

 

Enfin, dernier aspect géopolitique examiné par Thomas Gomart, les questions qu’il qualifie de « transversales », comme la guerre énergétique, sachant qu’en 2030, Inde et Chine absorberont 30% de la demande mondiale en hydrocarbures. Il y a aussi les défis climatiques et les changements qu’ils induisent dans les rapports de force entre puissances. L’historien revient également sur l’enjeu de « maritimisation », avec l’ouverture de nouvelle routes maritimes (à l’image de celle de l’Arctique pour les Chinois). Les espaces aérien et spatial questionnent également à travers l’apparition des drones et la militarisation de l’espace.

 

Avant d’ouvrir la discussion avec la cinquantaine d’universitaires, diplomates actuels ou passés, étrangers ou marocains, et chercheurs, le tout dirigé avec la fermeté souriante de Karim el Aynaoui, président du Policy Center for the New South, M. Gomart achève son exposé par cette grande question : « Voici 30 ans, en 1989, il y eut la chute du mur de Berlin mais aussi la répression de la place Tian'anmen. Trois décennies plus tard, que nous reste-t-il, l’esprit de Berlin ou celui de Pékin ? ».

Vaste question, toutes les réponses sont possibles, et tous les périls aussi. Le monde s’affole…

Aziz Boucetta

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